Vertigo
Équilibrisme mental dans les gouffres de la nuit, descente en rappel dans les crevasses de souvenirs, découverte des profonds vertiges de l'ivresse.
Goupil
Souvent de sa fenêtre, il aperçoit un goupil dévaler la colline, comme une grenade jetée dans la tranchée de la nuit.
Un jour de plus
Il faudrait au moins une explosion nucléaire, ou un épouvantable cataclysme, pour que je ne profite pas de ton sourire encore un jour de plus.
Carte au trésor
Elle est une carte au trésor illisible, et des pirates analphabètes se creusent la tête depuis des lustres pour déterrer son coeur.
Gloire posthume
Des années plus tard, entre deux conquêtes, elle avoua que mes doigts avaient été les premiers à marcher sur sa lune.
Pelvis
À l'orée de la forêt, les chênes frottaient leurs pelvis dans les dernières lueurs du jour, faisant apparaître quelques étoiles timides dans la petite culotte du ciel.
Arène
Ils vivent les derniers instants en clignant des yeux et en fronçant les sourcils, tout autour ça éclate et ça sent le gibier calciné, ils vivent les dernières minutes comme les premières, avec la pauvre curiosité des fauves qu'on jette dans les cris de l'arène.
Cerise sur le gâteau
© photo : Eric Baudelaire
Il était entouré de paysages en friches, de voitures noyées et d'avions pendus aux arbres. Il était le seul pion d'un échiquier abimé, l'unique cible du peloton d'exécution, la cerise trop mûre sur le gâteau écrasé.
Jardin
Elle s'entretenait comme un jardin. Elle avait planté des fleurs dans ses cheveux, des mauvaises herbes poussaient sur les parterres retirés, et moi j'avais juste à l'arroser une fois de temps en temps, pour pas la laisser crever.
Roulage de pelles
Comme l'impression d'être une langue qui passe sa vie à lécher le sol et à rouler des pelles à l'univers.
Entrevision
© photo : Astroguy
Fermer les yeux. Entendre les planètes tourner, se frôler et danser des valses dangereuses. Entrevoir avec effroi, l'espace d'une seconde, de quoi demain sera défait.
Révolution des violettes
L'anarchie du liseron, la révolution des violettes, l'apocalypse des coquelicots. De quoi nous brouiller les pistes encore plusieurs décennies.
Ciel qui ronfle
La nuit, de ma fenêtre haut perchée, le bruit chaotique des moteurs donne l'impression que le ciel ronfle, et moi je le regarde dormir emmitouflé sous ses draps étoilés.
Musée
Mon chat statufié sur le meuble de l'entrée, l'étagère qui dégueule des revues, la porte du placard entrouverte à cause d'hier ou d'aujourd'hui, des petits moutons de poussière qui dévalent le carrelage comme dans un western, et l'éclairage faiblard qui plante ses repères. Parfois le matin, quand j'emprunte le couloir qui rejoint la cuisine, j'ai l'agréable sensation de me balader dans un musée.
Tartine de confiture
Le ciel comme une tartine, les nuages comme de la confiture, et nous comme des guêpes tournant autour de l'objet tant convoité.
Refaire
Cette nuit là on a tellement forcé sur le goulot que j'aurais pu refaire le monde jusqu'à ce qu'il tienne dans tes petits yeux.
Rouge à lèvres
La terre comme une énorme bouche, et le soleil qui passe un coup de rouge à lèvres les jours importants. La pluie comme un démaquillant qui prépare aux longues nuits ensommeillées.
Remède
Quelques chansons de Tiny Tim allongées dans mes oreilles valent bien n'importe quelle effervescence dominicale.
Ricard
© photo : Gilbert Garcin
Il sort souvent très tôt. Il se met alors à entasser du froid dans son corps, à grands coups des pelles du vent et des douches froides du ciel. Il marche longtemps sur les corniches gelées. Il ne tombe jamais. Il congèle petit à petit les moments qui réchauffent le cœur pour les resservir dans quelques années, quand il ne sera plus qu'un glaçon qu'on vient de jeter dans un grand verre de Ricard.
On y croirait
Le petit balai des pauvres gens jetant des boules de neige sur leurs idées noires nous ferait presque croire qu'ils parviendront tôt ou tard à nettoyer toute la suie de leurs cheminées d'un seul drap blanc.
Film amateur
L'homme qui avait passé son temps a filmer la vie de sa femme ne supporta pas la fin de l'histoire. Il n'en était pourtant pas à son premier scénario...
Espoirs d'hiver
© photo : Ivanerofeev
D'un mouvement de lèvres, elle lance des mots dans l'hiver, d'un demi tour de cou elle dessine des étoiles dans la neige, d'un clignement d'yeux, elle fait le lien entre le gris du ciel et le blanc du sol. Elle est tout ce qu'il reste d'espoir aux lancinantes nuits d'hiver.
Drive-in
Chaque jour il voyait les montagnes comme des seins fermes, que les rapaces venaient tripoter incessamment. Chaque jour il était le seul spectateur d'un drive-in érotique perdu dans les hauteurs brumeuses.
Reflet glacé
Dans la glace du lac, un gardon mort qui expose son ventre, des feuilles d'automne tombées dans le piège de l'hiver, des insectes figés coupés dans leur élan, et notre reflet trouble prisonnier du ciel gris des mauvais jours.
Nuage de lait
Sur les bords d'un lac de café j'aperçois une abeille, la tête dans un nuage de lait, puis je l'envoie rejoindre le paradis mielleux qui n'aura probablement rien à cirer de deux ailes plantées dans un point jaune et noir.
Gros poisson mort
La jolie fille bien toilettée qui entre dans le bar, un gros poisson mort suspendu au dessus d'une meute de chats.
Poèmes pour les chats borgnes
"C'est étrange d'écrire pour les chats.
Voici quand même quelques poèmes
pour les chats de gouttières,
parce que je me dis qu'il y a peut-être encore
des chats borgnes qui lisent,
la nuit, entre deux combats."
52 pages [format 10,5 cm X 14,8 cm] 7 euros
Mon premier recueil de poèmes sortira courant janvier chez Asphodèle éditions, dans la collection "Minuscule". Vous pouvez déjà le pré-commander en vous rendant ICI
Neige fondue
Au milieu du champ, un suicide collectif de bonhommes de neige témoigne du réchauffement climatique, dans le silence de l'hiver.
Fil à retordre
© photo : Nicholas Morant
Ses propos étaient de plus en plus décousus, elle perdait sans cesse le fil de nos discussions, il fallait se rendre à l'évidence, les couturières n'étaient plus ce qu'elles étaient.
Paons
Assez de plumes sur les coiffes des indiens pour faire flotter leurs rêves vers d'autres campements. Assez de jours dans leurs vies pour qu'ils deviennent tôt ou tard fiers comme un troupeau de paons.
Chasse à courre
Quand elle se déshabille, c'est une chasse à courre dans l'immeuble d'en face, et on lâche des yeux écarquillés qui vont se jeter sur ses fenêtres.
Train fantôme
Tes sourires du matin sont des fêtes foraines. Nous sommes deux chevaux de manège qui filent dans le soir attendre le dernier train fantôme.
Adieu
Elle lui a simplement tourné le dos. Il pouvait encore suivre la trace de son parfum, puis elle a trainé son petit cul jusqu'à le faire disparaître dans le brouillard du quai.
Ce n'est qu'à ce moment là qu'il a vu son au revoir se transformer en adieu.
Porte qui claque
J'aurais pu écrire toute la journée dans les éternuements du vent si mes doigts ne s'étaient pas réfugiés dans les replis d'une porte qui claque.
Pare-chocs
Y a une nouvelle fille dans le village dont les yeux font des appels de phares, et tous les matins quand elle passe sur la grande place, le regard insistant des badauds est une nuée de moustiques qui vient embrasser son pare-chocs.
Concerto
Elle tapait à la machine comme elle aurait joué du piano, et on entendait derrière la rythmique enivrante de la machine à café. Les mauvais jours, le patron entrait dans son bureau pousser la chansonnette.
Yeux bleus
Je collectionne les photos d'yeux bleus. C'est pas grand chose mais il faut un sacré album pour entasser autant de ciel dans un si petit monde.
3 fruits sans légumes
© photo : Aaron Escobar
J'ai coupé la poire en deux et le vers s'est dressé mi-figue mi-raisin de la pourriture dans laquelle il squattait depuis l'ivresse des dernières vendanges.
Kidnappage
C'est dans les rêves de cette fille, calée au fond du bar, qu'il s'est construit un bateau pour kidnapper son cœur.
Sabotage
© photo : Slightly confused
Ce matin j'ai vu la fin de l'automne construire un ciel brumeux, et une armée d'oiseaux le découper de leurs becs aiguisés.
En crue
© photo : Lisa Larsen
Il pleut des malheurs sur ses petits bonheurs, des larmes sur ses joues en fleur, elle est une bouche d'incendie près d'une rivière en crue.
Sur le quai
© photo : Gérard Petrus Fieret
Sur le quai, je vois des gens qui se pressent et s'entrechoquent, des gens qui semblent débordés comme des baignoires oubliées.
Sale coup
On l'a retrouvé étalé dans son lit, la gorge tranchée par un coup de froid et se vidant lentement de sa morve.