Nos départs sur les civières d'argent


Nos vies
de parts de gâteau
nos morts
de pelles à tarte

Carte postale perdue


Chers C83695 et C39754,

Quelle n'a pas été notre surprise de découvrir ici à notre arrivée cet ordre sans nom. Il nous faudra bien un siècle pour y remettre un peu de chaos. Peut-être resterons-nous donc un ou deux siècles de plus que prévu. Merci encore à vous de vous occuper de nos dinosaures durant notre absence. Nous ne savons plus bien où donner de nos huit têtes, et cela m'attriste tellement de voir toutes ces fleurs parfaitement arrosées, que nous allons devoir une par une faire crever pour redonner à cette bâtisse sa chaleur d'antan. Nous ne sommes pas gâtés puisqu'il fait un radieux soleil depuis que nous sommes arrivés, pas une goutte de pluie pour nous faire frissonner l'échine ! Nous qui avions apporté les k-way, je doute que nous puissions nous en servir cette fois-ci...
Nous avons hâte que tout cela soit fini et sommes tellement pressés de reprendre le boulot...
Nous vous embrassons fort et vous rapporterons comme promis quelques déjections canines sauvages ramassées sur le petit sentier que nous arpentions autrefois.
Bel hiver à vous,

 B21459 et B369147

La migration des sourires


Tu n'as qu'à te dire
que les sourires
sont des oiseaux
que le sien a migré
voilà une éternité
tu n'as qu'à attendre
excité comme
un fil électrique
son retour

Du repos pour les yeux

© photo : Irving Penn

Quand le ciel
est épuisant
assieds-toi
près d'elle
et laisse tes yeux
se reposer
quelques minutes
au bord de ses lèvres

Moindre effort


Garde un peu
de sueur
pour demain

En cage


5ème étage
derrière la vitre
l'oiseau
sur le rebord
de la fenêtre
m'emprisonne

Voyeurisme


Ce matin elle grignotait
des restes de poubelle
au bas de l'immeuble
ce soir elle s'endort
au milieu de la cour
Je l'épie tous les jours
la lumière

Le cratère


Une égratignure sur son genou. Une petite surface rouge, brillante et suppurante. Le soleil, ses yeux, ainsi qu'un léger vent chaud comme une caresse viennent s'y repaître. Son genou devient le centre du monde. Sa douleur insignifiante attire toutes les attentions. Les herbes s'excitent autour et quelques insectes survolent déjà le périmètre. Elle s'est assise près du fossé, le visage triste, et ce cratère purulent au milieu de la jambe. Elle décide d'étendre sa jambe pour accueillir les bestioles affamées de passage. Aussitôt une mouche à merde vient se poser sur cette nouvelle planète de chair. Dans ce nouveau monde, elle est promue reine des insectes, la douleur devient un trou noir et son cerveau une galaxie.

Tracer sa route

© photo : Thomas P. Peschak

Ne pas se retourner
suivre la ligne
qui relie aujourd'hui
à demain
filer droit
avec sur le dos
nos lourdes convictions
devenir la nuit

Lèche-vitrine


L'horizon
bien gaulé
sa cambrure
imprimée
sur nos rétines
ses airs de
nouvelle conquête

Sur la tête des rêves


Chaque nuit est
un couvre-chef
pour nos petits rêves
frileux

Les oiseaux dirigent le monde


Les fenêtres
sont ouvertes
les oiseaux chantent
une mélodie entraînante
les hommes
encore une fois
se lèvent
et marchent au pas

Les fraises avant l'orage


Regarde ses yeux
avant qu'ils se mettent
à pleurer
comme tu cueilles
des fraises
avant un orage d'été

Manifestation d'une absence


Ça ne s'est pas toujours
passé ainsi
elle a déjà existé
de chair et d'os
partagé son lit
et ses gamelles
ses machines à laver
et sa bave
elle n'a pas toujours été
cette absence
qui manifeste tous les jours
dans sa tête
le cul à l'air
et une banderole
au bout des bras
"reviens vite"

Une vieille rengaine


Dans le pas
du vagabond
calqué sur celui
de son chien
et jusqu'au plus profond
de ses mains tremblantes
cette vieille rengaine
règle son compte
à l'inertie

L'hiver est un opportuniste

© photo : André Kertesz

À peine le ciel
a-t-il retrouvé
son calme
que ce sont tes yeux
qui se prennent
pour l'hiver

Nos petits amours cabossés


À la vitesse
où ils battaient
il s'en fallut de peu
pour que leurs cœurs
se rentrent dedans
Ils n'étaient plus
à un sentiment froissé près
mais il s'évitèrent de peu
et chacun rentra de son côté
dans son petit amour 
cabossé

Sac de découchage


5 jours
qu'il traîne ses pieds
dans les quartiers populaires
de la ville
5 jours
à essayer
5 femmes
et leurs 5 canapés
5 jours que l'insomnie
lui rappelle que
découcher c'est
apprendre à 
ne pas dormir ailleurs

Lumière recyclée


C'était une journée trop calme
on se manquait des yeux
les nuages
se foutaient bien de notre gueule
et nous n'avions
pour seule réplique
que quelques rayons de soleil
déjà utilisés

Help


Ce n'est pas moi qui écris ça
je répète
ce n'est pas moi qui écris ça
mon inspiration vient de
me prendre en otage
et me force à déballer
toutes ces banalités

Au mauvais endroit au mauvais moment


Elle lui avait donné
rendez-vous vers 15h
dans un endroit
un peu perdu
pas trop quand même
juste ce qu'il faut
mais ce jour là
il avait décidé
de troquer
sa montre et sa boussole
contre
une canne à pêche
et quelques bières
cueillies
au cœur de la rivière

Entre deux flaques


Les douces éclaircies
ces petites tapes
dans le dos
qui nous font avancer
d'une flaque
à l'autre

Le drap d'argent


Un poulain mort
au milieu du champ
un cercle de chevaux autour
perturbés
Les yeux
des automobilistes
qui caressent
leur peine d'équidés
qui dérobent
quelques particules
de bouleversement
au passage
puis s'en retournent
loin devant
là où le ciel
est un petit drap d'argent
déposé sur la tourmente

Nos points cardinaux

© photo : Peter Higginbotham

Nous nous déplaçons
dans le temps
à l'aveuglette
nous nous perdons
nous nous retrouvons
petit à petit
nos rides deviennent
des boussoles

Parution - À la dérive n°2 - juillet 2011


Une contribution au second numéro d’À la dérive, "Le modèle du calendrier", piloté avec brio par le capitaine Alain Giorgetti.
C'est à lire ICI
Au sommaire de ce numéro, la belle troupe de matelots que voici :

ELIAS CANETTIp.59 /MATIAS AIRESp.7 /ALMANACHp.10/CLAUDE ANETp.14 /ZOE BALTHUSp.18 / GABRIEL BAÑEZp.31 /ALBIN BISp.35 /PAULA BRAZp.47 /MAYA BYSSp.52 /CLAUDE CHAMBARDp.62 /MARC CHOLODENKOp.73 /CLAROp.77 /LE CORANp.80 /MANUELA IVONE CUNHAp.82 /PHILIPPE DESPORTESp.86 /LE DEUTERONOMEp.89 /T.S ELIOTp.92 /EPICUREp.95 /FABRE D’EGLANTINEp.98 /FIOLOF & KOHNp.103 /JEAN DE LA FONTAINEp.110 /PAUL GEGAUFFp.115 /SYLVIE GERMAINp.118 /FRANCISCO GOYA Y LUCIENTESp.121 /REGIS GUILLAUMEp.124 /HESIODEp.129 /HORLOGE PARLANTEp.133 /VICTOR HUGOp.136 /ETIENNE JODELLEp.141 /MARCEL JOUSSEp.145 /ROBERTO JUARROZp.149 /ANNE-FRANÇOISE KAVAUVEAp.153 /VERA KOLESSINAp.157 /JEAN-BAPTISTE LABATp.172 /JULES LAFORGUEp.175 /ROGER LAHUp.179 /GIACOMO LEOPARDIp.185 /NADIA LOTFIp.188 /STEPHANE MALLARMEp.193 /MICHEL DE MONTAIGNEp.198 /NIRVANAp.202 /ORFOp.205 /ALBAN ORSINIp.209 /BLAISE PASCALp.221 /ROBERT PICCAMIGLIOp.224 /GEORGES POULETp.227 /HAROLD RAMISp.231 /CELINE RIGHIp.234 /CHARLES ROZANp.237 /LOUIS DE ROUVROY DE SAINT-SIMONp.240 /GUILLAUME SIAUDEAUp.244 /VALERIE SOURDIEUX & ERIC SOURDIEUXp.248 /HELENE STURMp.253 /TACITEp.275 /KIYOOKA TAKAYUKp.279I /MARLENE TISSOTp.283 /SOPHIE TOLSTOÏp.286 /RAOUL VANEIGEMp.291 /MARC VILLARD p.294 /THOMAS VINAUp.299 /VOLTAIREp.306 /ROBERT WALTERp.310 /EMILE ZOLAp.314…

Questions - Réponses


Le jour où
l'homme qui posait
plein de questions
a rencontré
la fille qui avait
plein de réponses
sa vie est devenue
une langue
sur une glace au chocolat

Poils aux mains


Un jour
dans sa paume
le poil
a fait des petits
et sa main
est alors devenue
le monstre velu
et paresseux
que j'étais
en train de serrer

Total eclipse of the heart



En attendant mon retour
Profitez donc de 
cette éclipse totale du cœur !

Le petit cortège


Deux ou trois papillons excités, quelques moucherons ivres, un chien perdu langue pendante et flancs terreux, une armée de punaises rouges au pas, une pluie de pollen doré, une ligne de fourmis chargées de provisions, une chenille qui traîne les pattes le long d'une branche échouée. Mes yeux pleins de compassion rejoignant ce petit cortège boiteux en route vers la nuit.

Mutisme végétal


Cette plante crevée
sur le balcon
n'avait pourtant
rien demandé
elle aurait dû

Sale temps pour les bouches


Une de ces journées
dictées par les nuages
et où l'on compte
moins de sourires
que de bouches

Surexposition


Finir par comprendre 
la répulsion qu'éprouve
au bout du compte
le tournesol fané
pour le soleil

L'été tout puissant


L'été
tout puissant
la reptation
de ses heures chaudes
entre les caillasses
qui jadis éraflaient
nos genoux d'enfants

999


Cette succession
de choses brutales
qui donne la sensation
de n'être plus
qu'un mille-pattes
à qui on en aurait arraché
999

La ville gigote

© photo : Sam Low

La ville bouge
la ville tousse
la ville crache
la ville se retourne
de toutes ses rues
sur nos petits squelettes
de chair

Duel de langues


Un duel de langues sauvages à lire chez FPDV

Partir ou rester


Pour que le très loin
devienne tout près
il faut que le tout près
devienne très loin

Au pied des sourcils


Ce pauvre type était
une baballe
que cette fille
ramenait
des yeux

Jardin hanté


Le taille haie
moteur vrombissant
et toutes mécaniques à l'air
qui s'affaire dehors
depuis maintenant une heure
manque de précision
et vient de couper
par mégarde
quelques-unes de mes idées
tout juste sorties de tête

Chaîne alimentaire

© photo : Nicolas Ganichot

Le renard débouche
dans la clairière
ose quelques pas
dans l'herbe moite
puis se fait
avaler tout cru
par la brume
au pelage blanc

Senteur sapin


Une bien triste nouvelle à lire aujourd'hui chez Le Grand Bazart

Moyennant quoi


Il a commencé
à pleuvoir
moyennant quoi
ils se sont abrités
sous l'appentis
moyennant quoi
il se sont rapprochés
moyennant quoi
leurs regards
ont quitté le fil à linge souillé
[sur lequel ils étaient suspendus
à côté des petites culottes]
pour se mettre à l’abri
l'un dans l'autre

Bouche cousue


Ferme ta gueule !
assène l'aube
aux premiers passants
qui risquent
quelques sons appauvris
à ses oreilles

Le premier rayon


Le premier rayon bouillant quitte le soleil. Manque de transpercer un vautour, file droit entre les nuages et vers la plaine où le fauve l'attend. Tout semble s'écarter sur son passage. Le rayon dessine dans sa course les esquisses d'ombres qui bientôt formeront une armée. Et le fauve reste immobile, à attendre que le rayon bouillant le gagne. Qu'il le submerge. Qu'il noie de ses braises un sursis interminable. Le trajet du premier rayon ne dure que quelques millièmes de secondes. Mais à l'instant précis où la nuit est déclarée morte, le rayon plonge dans l’œil du fauve et recommence à y diluer quelques gouttes de rage.

Niveau zéro


Il y a elle
le niveau zéro
et en dessous
les gens morts

Ses pieds frôlent
le niveau zéro
les gens morts frôlent
le niveau zéro

Il y a elle
le niveau zéro
et en dessous
toutes chairs
et os enlacés

Ses pieds tapent
le niveau zéro
les os craquent
les vers grouillent

Il y a elle
et sous la plante
de ses pieds
le niveau zéro
juste à la frontière
de ses rêves
et de l'homme abject
qu'elle vient d'enterrer

Troupeau de soupirs


Écoute
la transhumance
de nos soupirs
d'une nuit vallonnée
à l'autre

Reconstruction humaine

© photo : George Skadding

Elle était 
au plus mal
démontée
démolie
et ce jour là
de quelques baisers
bien posés
il est devenu
architecte

Le matin rouge

© photo : Brett Wagner

Souviens-toi
ce matin rouge
où nos mains
étaient des allumettes
nos peaux des grattoirs
nos joues des bougies

Monologues contemporains


Solitudes
petits drames
qui se jouent
entre hier et demain