Il lit ? Il lit !
Aujourd'hui, ce n'est pas moi qui écrirai le poème. J'écris pour diverses raisons, mais c'est aussi pour ce genre de retours que par dessus tout j'aime écrire :
"D’habitude, il ne lit pas. Jamais, pour ainsi dire. Ou alors, de temps en temps, quelques mangas, mais on s’y connaît mal pour lui en offrir, on vit en province où ça manque de spécialistes, et puis, même : il les préfère animés que sur papier. Il ne lit pas. Il aimait les histoires, pourtant, tu sais ! Le soir, quand ils étaient tous les deux en pyjama sous la couette, je lisais Narnia, de la terre à la lune, la guerre des mondes, Peter pan. Et puis ils ont grandi, j’ai arrêté de lire pour eux, et il a arrêté de lire tout court.
Ça m’a longtemps attristée. Je croyais que ce serait héréditaire, le goût de la lecture. Son père et moi - sans compter que lui, en plus, il en vend des dizaines par jour - on en avale tout ronds des quintaux mensuels ! Mais pas lui, il n’aime pas.
Oui, je sais, les médecins nous ont expliqué, rapport à sa distraction, il a du mal à se rappeler le début d’un chapitre quand il arrive à la fin, et si l’auteur se permet une ellipse ou un bond temporel, il est complètement perdu, plus rien n’a de sens, il abandonne.
N’empêche, ça m’attristait. Je gardais l’espoir de trouver un jour le bon livre, celui qui lui donnerait envie de tourner les pages, de connaître la suite, de retrouver les personnages avec cette petite tendresse qu’on leur porte parfois. De temps en temps, j’en conseillais un, mais Joachim contestait - et l’avis du libraire prime sur l’avis de maman (de manière générale, n’importe quel avis prime souvent sur l’avis de maman, même à 22 ans). Ça m’attristait, donc. Je me raccrochais à Pennac pour ne pas me résigner tout à fait.
Et puis, la semaine passée, Joachim m’a donné ce bouquin, « une petite pépite, tu verras, c’est tendre et drôle », et bien sûr, il avait raison, ça l’était. Je l’ai gobé d’un coup, le bouquin - son héros fantasque, ses rouleaux de papier toilette, son chat, son aspirateur, le monde. Et je me suis dit que je n’avais rien à perdre à le lui conseiller à mon tour. Je lui en ai parlé un peu, je l’ai déposé sur le palier, il y est resté trois jours, et puis, dimanche soir, il n’y était plus.
Il lit ? Il lit !
Mardi, au souper, il m’a dit qu’il était un peu déçu de la fin : il aurait bien aimé que ça aille jusqu’à la lune pour de bon.
Tu vois, hein, c’est pas en leur fourguant Madame Bovary à 15 ans que tu leur donnes envie de lire. C’est par hasard. Et le hasard ne lasse pas de m’émerveiller."
Merci à cette maman d'avoir croisé la route de Lundi mon amour.
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