La bouche pleine

© photo : Guillaum èS

Hier soir la nuit a grogné. J'ai appuyé mes bras sur la rambarde du balcon pour regarder bien au fond de sa gueule. Elle n'avait pas fini sa bouche. Il restait quelques étoiles et un avion, des miettes de nuages et une lune grosse comme un comprimé anti-inflammatoire. Elle me disait "si tu ne vas pas au pieu tout de suite je ne vais faire qu'une bouchée de toi". J'ai suivi ses conseils. J'ai trouvé qu'elle ne manquait pas de culot. Sur le matin j'ai entendu le jour la dévorer, elle et tout ce qu'elle avait entassé dans son estomac galactique. Alors je me suis rendormi dans le ventre replet du jour naissant.

Pilotes de corps


On ne demande pas l'impossible. L'impossible est intouchable. Dans l'estomac d'hier ou l'intestin de demain. On évolue dans le possible, entre les aiguilles d'une pendule et le pilotage de nos corps sur le chantier de l'instant présent.

Celui qui pleurait des flammes


Il longe les rues et contemple leurs yeux qui font les points de repère dans les rues mornes. Des tableaux de maîtres dans un musée. Parce qu'il brûle d'amour pour leurs petits yeux. Il sait que son seul regard ne pourra pas grand chose. Il pleure des flammes.

1% de Vietnam


Se casser la gueule dans les marches de l'immeuble - jusqu'à l'entorse - en amenant dans la nuit sa copine aux urgences est une forme compatissante d'amour-instinctif-paranormal.

Les filles sont des routes


Elles sont les lignes blanches de nos bolides cabossés, les visions floues de nos conducteurs ivres, les rétroviseurs défoncés de nos poursuites creuses. Des routes à suivre en pointillés pour veines alcooliques et mains tremblantes.

Cercle vicelard


Les nuits à attendre le sommeil
enfantent des jours à se languir des nuits.

S'occuper comme on peut


Jouer au poux sur le dos poilu de la colline.

Poignée de secondes


Les 5 secondes après un choc, les 5 secondes après un accouchement, les 5 secondes après la mort, les 5 secondes après un accident, les 5 secondes après un baiser, les 5 secondes après une chute, les 5 secondes après le réveil, les 5 secondes après une triste nouvelle, les 5 secondes après le lever du jour...

Les choses qui enchaînent les hommes à la vie sont l'histoire d'une poignée de secondes.

Fais de beaux rêves


Le calme s'est allongé dans l'appartement. Il semble s'écouler de nos oreilles. Il ne porte sur son dos que le tic-tac qui nous rapproche de la fin. Il y  a aussi le frigo qui digère ce qu'on mangera demain. Il y a dehors une voiture qui halète dans le brouillard. Les pas étouffés du chat sur le carrelage. Il y a ta respiration. Il y a ton nez qui siffle un peu quand tu fais entrer de l'air dans ton sommeil. Je peux dormir tranquille, le silence n'existe pas.

Un môme ne peut pas tuer une ombre


Hier j'ai vu un môme essayer de tuer son ombre dans une rue sombre, entre une poubelle et un haut mur en pierre. Il n'a pas réussi.

Au crayon noir tes jolis yeux


Leurs yeux sont des médailles qu'on ne mérite pas.

Association de malfaiteurs

© photo : Bernard Faucon

Longue vue aux courtes nuits
Longue vie aux courtes morts

10 métiers à risques [ financiers ]

© photo : Joan Fontcuberta

Écrivain dans les pensées
Chef de chantier des lignes de main
Géomètre topographe de cartes à tirer
Pilote de pendule
Prestidigitateur pour aveugle
Poltergeïst en intérim
Magnétiseur pour poltergeïst en intérim
Psychologue de magnétiseur pour poltergeïst en intérim
Gourou de secte en auto-entrepreneuriat
poupée vaudou de démonstration en centre commercial

Participation


Un nouvel aboiement dans le chenil des BOYZ OF SKANDALZ.

Pour la route


Pourquoi pas, oui, à la rigueur, si tu insistes, si demain garde la même robe qu'hier peut-être en reprendrai-je un vers.

Fruit'n fibre


S'il est une chose dont l'être humain puisse se vanter, c'est bien d'être l'un des rares fruits à se manger pourri.

Vin nouveau

© photo : Prac53

La pluie et ses milliards de lames, l'abondance des branches dans le vent, trop d'oiseaux pour un seul chat, les flaques taillées dans le sol pour des bateaux qui n'existent pas, l'omniprésence du ciel allongé sur le matin. Dehors chargé comme une barrique de vin nouveau, qui ne laisse pas la moindre place à nos plaintes.

Notre mer


L'horizon est un mur, la mer un crucifix, les touristes des apôtres dévoués, et les sauveteurs des athées qui plantent leurs yeux dans la réalité saisissante des vagues, depuis les lèvres inertes de la plage.

Insomnia


Mon insomnie sait pourtant bien que dormir est le prix à payer pour me réveiller à ses côtés.

Devenir une proie


S'éteindre au milieu des animaux et des arbres, dans l'étau de la faune et de la flore. Partir encerclé des instincts sauvages et abandonner sa vie dans la gueule des champs. Devenir une proie.

Terminaison


Les recueils finissent comme les cercueils.

Toucher des racines


Je regarde souvent les arbres avec envie, quand ils touchent des branches le néant bleu et paraissent bien loin de leurs racines enfouies. Chaque fois je me dis que nous sommes ridicules à ne pouvoir toucher du doigt que le sol et persister à planter nos cheveux comme de pauvres racines perdues dans le ciel vide.

La ville des insectes


Je me suis posé pour lire sous le prunier. Il faisait chaud, le temps idéal pour se poser et lire sous un prunier. Très vite, j'ai eu l'impression d'avoir atterri dans la ville des insectes. Au cœur des bruits minuscules jaillissant de toutes parts. Des mouches comme des hélicoptères, le vacarme des lauriers pareil à celui d'un chantier clandestin, qui ne veut pas faire trop fort mais qui n'y parvient pas. J'ai prêté mes yeux à des fourmis montées comme des pelleteuses et à une mante religieuse qui faisait la grue entre les mauvaises herbes. J'ai savouré le capharnaüm d'une petite ville à taille d'insecte. J'ai finalement constaté qu'elle semblait beaucoup plus supportable que la mienne. Peut-être parce que dans la ville des insectes on entendait encore les plaintes inutiles du vent dans les arbres. Peut-être aussi parce qu'ici quand on se posait sous un prunier pour lire, cela devenait impossible.

Botanique céleste


Le ciel un potager aux buissons de nuages pour les oiseaux et leurs fourches de serres.

Il y a des jours


Il y a des jours où je peux écrire plein de poèmes, des jours où je peux vendre plein de sourires, des jours où le ciel est presque transparent.
Il y a des nuits.

Baignade solitaire


Se baigner dans le silence, plonger du haut des jours dans l'eau tiède des heures interminables.

Habitacle heureux


Je suis assis. je végète. Je me demande s'il faudrait être triste ou heureux en pareil moment, en pareil endroit. Puis une bagnole passe, avec dans son habitacle assez de bonheur pour vivre à cent à l'heure pendant au moins une semaine.

Rêve de chien


Nous sommes les chiens de nos rêves 
qui hurlent à la mort dès qu'ils nous abandonnent.

Carpe diem


Lève la tête, ferme les yeux,
remets la réparation de ta carcasse à demain.

Minutie de dinosaure


Il y a quelque chose de foncièrement primitif dans la minutie dont il faut faire preuve pour collectionner les dinosaures.

L'homme dans le vent


Quand je vois comment le vent nous courbe et nous crache sa poussière au visage, je ne donne pas cher de notre peau, pas mieux de nos chairs.

Jour et nuit

© photo : White noise

Impossible de se lever plus tôt qu'un jour
Impossible de se coucher plus tard qu'une nuit

Trous et montagnes


Chaque pelletée de terre exhumée devient fatalement le commencement d'un trou dont je fais toute une montagne.

Faire avec son ombre

© photo : Lyubomir Bukov

J'avoue n'avoir jamais été plus rapide que mon ombre, mais j'ajoute pour l'honneur n'avoir jamais été plus lent.

Au fond


On n'est pas totalement mauvais. On tue mais on sauve. On a tous été un jour le héros d'un insecte.

Modeste construction


Construire des choses ridicules avec les débris des grandes. Défaire, refaire, ériger des choses pas trop grandes qu'on puisse serrer dans ses bras.

D'une nature déchaînée


Son souffle vaut bien des bourrasques, son cœur quand il bat simule des tremblements, ses doigts quand elle parle dessinent des jours prochains.

Aube mourante


Se lever quand dehors ressemble à la robe sale d'une mariée. Dévisager le petit jour, ne pas le quitter du regard, le défier. Puis d'un détour le prendre pour moins que rien et retourner se blottir contre la peau des rêves.

Participation


Un questionnaire musclé auquel j'ai du répondre
au commissariat NON DE NON !

Chenil


Ses yeux un chenil, ses lèvres une gamelle.
Et tout autour, des hommes qui aboient.

Protection solaire


Quand l'horizon est un océan, quand la rosée est une pellicule de sueur sur la peau des sentiers calcinés, quand la nuit devient le parasol du jour.

Pluie de coups


Des coups de soleil dans les côtes des ruisseaux, des coups de tonnerre sur la cime des arbres, des coups de grisou dans les mines tristes des étés-rengaine.

Leçon d'aventure


Je sais maintenant qu'une aventure peut débuter par l'envol d'une particule de pissenlit et se terminer dans la merde sèche d'un cabot malade.

Une des explications

© photo : LG

Fumer c'est relativiser la vie.

Le complot des pins


J'y suis retourné. J'y étais déjà revenu mais ça faisait une paye. Certains endroits de l'enfance deviennent aussi sacrés pour moi que pour d'autres les églises. Cet endroit en particulier me ferait presque comprendre la folie qui pousse les gens à aller prier. J'y suis donc retourné et je voulais te dire que tout est encore en l'état. Le sol couvert d'aiguilles, et les petits buissons touffus sur lesquels on couchait les serviettes. Les pommes de pins tombent toujours, à intervalles quasi millimétrés. Le silence apaisant de l'endroit les aide à être régulières. J'ai revu des bières décapsulées, des rires sincères dont j'ai toute une collection dans mes souvenirs, des boules de pétanque, des râteaux, des billes, des cafards de fin de journée à trainer les pieds sales dans le sable poreux. J'ai pensé à ces vieux films super 8 qui ont bouffé tout ça et qui aujourd'hui digèrent lentement dans un placard. Décidément il ne manquait que toi. Je suis resté longtemps. Je n'étais pas seul mais c'était comme s'il n'y avait que toi et moi. J'ai été heureux et triste. C'est aussi simple que ça. Heureux en arrivant, et triste en partant. Parce que quand je suis parti j'ai cru voir les hauts pins rire aux éclats, et se vanter de, 20 ans après, pouvoir encore étirer leurs racines. Alors avant de les laisser se tordre les branches de rire, je me suis retourné une dernière fois. Et j'ai trouvé dégueulasse que des pins amorphes puissent survivre à des hommes comme toi.

4 saisons


Elle sourit des danses d'été, chuchote des tourbillons d'automne, enfante des pleurs d'hiver, caresse des espoirs de printemps. Elle me ressemble.