Lundi maussade
Un lundi de pluie à se demander si on ne pourrait pas plutôt broyer du gris et voir la vie en beige.
Plein de petites barques
Nous serions plein de petites barques, nous dériverions. Parfois nos coques s'embrasseraient, parfois certaines barques couleraient. Nous serions plein de petites barques parties de rien et en route pour nulle part, bravant les tempêtes, jouissant dans les accalmies, et manœuvrant comme des marins ivres qui s'en moquent bien de rentrer au port. Nous serions comme échoués au large. Nous ne serions pas de gros bateaux de croisières et cela nous suffirait bien de faire du surplace entre rien et nulle part.
Charogne de papier
On a reçu assez de retours positifs et Charogne est donc en marche pour une version papier en collaboration avec les éditions Asphodèle.
Ce premier numéro sera l'adaptation de celui sorti sur le web, au format A5 / 36 pages
Même si vous l'avez déjà lu, on n'est jamais mieux servi que par le papier. Et puis c'est un premier numéro symbolique, alors n'hésitez pas à faire vos fonds de portefeuilles.
Merci à tous ceux qui doivent m'envoyer leurs chèques dans les jours qui viennent. Pour ceux qui sont intéressés pour recevoir Charogne #1 dans leur boîte aux lettres, vous pouvez envoyer vos chèques (6 euros pour un exemplaire) à :
Guillaume Siaudeau
11 Boulevard Amiral Courbet
44000 Nantes
ou bien à
Asphodèle-éditions
23 rue de la Matrasserie
44340 Bouguenais
Ne trainez pas trop, puisque nous imprimerons en fonction du nombre de commandes. Vous recevrez cette première Charogne de papier début septembre.
Merci à tous ceux qui ont ou vont faire avancer l'animal....
Jeu de piste
Il y a des filles, posées ça et là comme des piquets, cachées derrière les arbres, dans les maisons, sous les paupières de leurs yeux baissés. Comme une suite d'indices dans un jeu de piste, à l'emplacement minutieusement étudié. Des filles qui sont là pour empêcher les mecs de se foutre en l'air.
Au fond de ses crevasses
Au fond de ses yeux, des trucs tristes prisonniers des crevasses, un taux d'humidité bien au dessus des normales oculaires, et le reflet de la peau fripée du monde.
Si dans le rétroviseur
Si l'herbe était rouge, si les gens avaient trois yeux, s'il pleuvait du chocolat aux noisettes, si les voitures étaient de carton-pâte, si les chiens parlaient anglais, si les horloges s'arrêtaient pour de bon sur minuit, s'il n'était plus que l'ombre d'un doute, si la fille qu'il avait dans le rétroviseur voulait bien répondre à son sourire béat, il se demandait si le monde ne tournerait pas mieux dans son cœur.
Odyssée du matin
Dans l'odyssée qui relie ma chambre à ma cuisine j'ai failli perdre un doigt de pied sous l'étagère, un genou au coin du mur, mon chat sous mon pied gauche, et mes intestins sur la poignée de la porte. Les aventures du petit matin ne sont pas faites pour les chevaliers sans armures.
Il faudra faire avec
Le ciel se gonfle d'eau tiède. La peau du sol se hérisse. Les oiseaux picorent ce qu'il reste de ciel bleu, quelques miettes éparses sur les contours des nuages. Les mines figées des gens se découpent dans le tableau graissé d'huile. Tout est en suspend. Des fruits se cassent la gueule des arbres au ralenti. Ça sent comme dans les vieux pots de confiture où un centigramme moisi hiberne depuis plusieurs années. Les arbres sont sous la perfusion des fils électriques. La terre sèche attend quelque chose. Des coups de motoculteur ou de l'eau à profusion. Elle veut en finir, qu'on la lacère ou qu'on l'arrose. Soudain l'orage éclate et des yeux montent au ciel escalader les éclairs. Il flotte de quoi traverser l'averse à la rame. La fin de journée ne sera plus la même. Il faudra faire avec le bruit visqueux des pas dans l'écho de la défaite.
Abysses
© photo : Claire Nouvian
En nos abysses crâniennes s'entredévorent créatures et rejetons d'idées, monstres de décisions et solutions sauvages pendant qu'au dehors gronde l'agonie des pendules.
Chemins de traverse
© photo : Bénédicte Balza
Encore combien de ponts, de forêts, de routes, de couloirs, de mers, de rivières, de ciels, d'histoires d'amour, de lignes continues, et d'années, nous reste t-il à traverser avant les quelques derniers mètres de terre ?
Nuit noire
Nuit noire. Vessie pleine. Une ombre au fond du couloir s'échappe d'un rêve. Jet d'urine. Illumination. Libérer les autres ombres. Nuit noire.
Là-bas
© photo : Kaffecrus
On marche. On ne voit pas le bout du sentier. L'horizon le cisaille en milliers de couleurs. Là-bas le blanc additionné au noir n'enfante pas forcément du gris. Le ciel est presque le sol. Le jour ressemble à s'y méprendre à la nuit. On ne voit pas le bout du sentier et pourtant on y regarde. Là-bas les oiseaux n'existent que sous la forme d'êtres microscopiques, les arbres ne sont pas mieux. L'hospitalité est aussi difficile à imaginer qu'un éléphant à une patte. Et le foutu bout de sentier ricane, dans l'hypothèse du vent, dans les interrogations de l'aube, dans la nuit qui n'ose pas nous dire ce qui nous attend là-bas au pied de la falaise.
Entre 5h et 8h du matin
© photo : Andreas Ulvo
Il y a un moment tous les matins, entre 5h et 8h, qui est aussi triste qu'une chanson de Leonard Cohen. Un petit bout de temps où le paysage bande aussi mou qu'un homme aromatisé au whisky.
De bon matin
Le soleil est entré par la fenêtre et a tout inondé. souillé les meubles, le carrelage, noyé le chat. Entrée brutale, forçage de porte, coulée de lave sur les faibles soldats du réveil. Intrusion dans l'intimité, fouineur de première, voleur sans expérience. Le soleil est entré et a tout saccagé. Tagué le formica, assassiné le beurre, planté ses lames dans les feuilles défraîchies des plantes. Cheval de Troie ivre, assaut, viol de bon matin. Pour l'instant je reste là, au fond de la chambre, je me planque. Ma tête ce matin est l'ombre d'une baraque délabrée.
Constat alarmant
C'est comme ça. Il faut tant qu'on le peut amuser les gens. Si tout le monde se mettait à pleurer en même temps on finirait tous noyés.
Dans les yeux
Il n'osait pas la croiser. Elle avait les yeux si bleus qu'ils lui donnaient le mal de mer. Lui préférait défier les regards boueux des rivières.
Comme une morgue
© photo :Debbie B
Des petits corbillards dans la tête pour transporter les idées noires, et le ciel comme une morgue. Ses yeux un bouquet de fleurs à faire faner.
Pique-nique
Ils ont pique-niqué juste à côté de sa carcasse. Ils se servaient à même le flanc de la bête morte. La viande avait été grillée par le soleil et rincée par la pluie. C'était délicieux. Ils bouffaient comme des gloutons et s'arrêtaient de temps à autres pour libérer un rôt de leur estomac. Ils ne parlaient pas, ils étaient des crocs, des broyeurs de chair, des épicuriens de la mort infusée. Quand nous les avons survolés ils ont levé leurs milliards de visages en nous souriant. Leurs dents avaient la couleur d'une bête crevée.
Dessin-animé
Nous n'aurons pas besoin de grand chose. Un peu de carton et de la colle. Je l'ai vu dans un dessin-animé, c'est vraiment simple de construire un bateau en carton. Les vagues se chargeront du reste. Nous partirons enfin. Si une souris y arrive, nous y arriverons.
Roman de gare
Des poèmes sur les rails de leurs lèvres, des romans sur leurs arrière-trains, des préfaces dans les gares désertées de leurs yeux.
Les heures sont des échelles
Les matins qui s'enchaînent à nos pieds, nous tirent vers les crépuscules, nous jettent dans les nuits profondes où les heures sont des échelles.
Enfants-chasseurs
Une meute d'enfants lancée dans les fourrées suit le sillage d'une poule en chocolat. Effluve de gibier fondu dans l'or brun. Les herbes frémissent sous leurs pieds maladroits. Leurs nez cherchent un destin, une récompense, la gourmandise qu'on promet aux plus vaillants des enfants-chasseurs. Lâchés dans la campagne après des nuits passées à lorgner les barreaux. Tenter de s'échapper, planter les yeux dans la liberté des horizons vivants. Les gosses enfin se ruent sur l'animal. Plantent leurs crocs dans ce qu'il reste de chocolat sauvage.
[Extrait de projet en cours]
Dicton alcoolique
Bois pendant qu'il en est encore temps. Demain il te restera encore un peu à vivre mais il n'y aura plus de vin dans la bouteille.
Bras d'honneur
© photo : Alain Bizos
Pas de ceux qu'on montre du doigt. Plutôt de ceux qui mettent à l'honneur leur bras.
Attendre la noyade
© photo : René Maltête
La lumière dégouline du ciel sur la terre encore endormie. Elle glisse entre les arbres, longe les murs, le regard bas. Elle fait le raz-de-marée sur les trottoirs, inonde les mégots et les merdes de chiens. Encercle les hommes qui cherchent à échapper à la nuit, les retient prisonniers de ses griffes. S'engouffre dans les rides des vieux.
Je suis assis là, sur une marche, et j'attends qu'elle me noie.
Je n'y crois pas
Je ne crois pas en la réincarnation. Je crois qu'on finit simplement les pattes emmêlées comme des fourmis écrasées. Je ne pense pas qu'on puisse choisir en quoi nous nous réincarnerons. Si c'était le cas, nous serions entourés par les lions.
Une autre approche de la peinture
Nous étions assis et elle repeignait le ciel des yeux d'une belle couleur qui hausse les cœurs. Moi je repassais derrière une couche de gris et j'en faisais goutter partout sur le plancher des vaches. Elle m'a dit que ça l'importait peu que je sois plutôt dans le ravalement de façade, qu'elle se chargerait des finitions.
Ce qu'il faut savoir
C'est ce qu'on lui a dit. Il faut savoir tenir son arme, viser, tirer. Dégainer, recharger en deux secondes, tirer et recommencer. Sinon il faut penser à changer de métier.
Une histoire de pomme
Il est entré dans l'épicerie et les cageots étaient pleins à craquer. Des fruits et autant de légumes. Il lorgnait le vieil homme derrière la caisse, qui faisait le mirador. Ce vieux vendeur était aussi impressionnant que les chiens qui surveillent les casses automobiles. Mais tant qu'il n'aboyait pas, tout se passerait bien. Il en était convaincu. Il a longé les rayons machinalement, les mains tremblantes et la moue dérangée du type qui veut paraître normal. Il a croisé deux ou trois autres clients, puis plus personne. Il était seul dans le rayon, et les cageots ouvraient grand leurs gueules et dégueulaient des fruits. Il a jeté un dernier coup d'œil de chaque côté, puis il à fourré dans ses poches la plus grosse pomme de l'épicerie. Elle était lourde. Tellement lourde qu'en se dirigeant vers la sortie, il avait l'impression d'avoir un bœuf dans sa poche et de pencher d'un côté. Jusqu'au dernier moment il a craint la main sur l'épaule ou le coup sur la tête. Pourtant, il est sorti facilement, au son des cases vides qui résonnaient dans sa tête comme des boîtes de conserve. Il a attendu d'être à cinquante mètres pour crier victoire. Il se voyait déjà arriver chez lui les bras vers le ciel en hurlant : "Ça y est, je sais voler!"
Prendre en compte
Prendre tout ça en compte. Les rires mystiques des enfants et les hurlements de loups. Les lumières mourantes et l'accouchement des ombres. Prendre en compte les guirlandes d'espoirs et les stigmates des fatalités. Le grand écart des sourires et les moues ratatinées. Les ailes ciselées de la vie et les affres de la mort. Mettre tout ça dans son sac et continuer d'avancer.
Pont vers la ville
© photo : Bénédicte Balza
Grand pont sur les lampadaires. Sur les nulle part qui deviennent quelque chose. Langue de béton. Main tendue vers l'entrée de la ville, ses débris de verre et de chair, ses relents de whisky et de gerbe, ses chuchotements grotesques et fracas étouffés.
Châteaux faibles
© photo :Joan Fontcuberta
La complainte rugissante du bonheur traverse les murailles, susurre aux oreilles éplorées des châteaux faibles.
Débâcle et tyrannie
© photo : Jean Lemoine
Elle est gâtée la lune. Elle est incontinente. Elle pisse sur les étoiles des éclairs malades. Elle peine à éclairer la besogne des petits animaux. Elle ne danse plus depuis bien longtemps. Elle est accrochée au porte-manteaux du néant et bave du jaune chiasseux sur les yeux des hommes en bas. Elle sombre. Elle est sombre. La voilà qui trébuche, elle tombe, elle s'affale de tout son rond dans l'horizon. C'est tellement accablant. Pourtant la débâcle de la lune n'est pas grand chose comparée à la tyrannie du soleil.
Multiplication
Tête à tête. Elle et lui. Seulement elle et lui. Boire jusqu'à troubler sa vue. Boire jusqu'à devenir polygame.
La nique des saisons
La nique des saisons, deux corps nus se frottent les températures, construire les années dans l'accouplement, baver, geler, suer, mettre bas des bourgeons, assassiner les couleurs. Recommencer
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