Dans une morgue
Un rayon de soleil fait l'épée dans un nuage, transperce de quoi vivre, devient aussi émouvant que la fleur diaprée qui s'épanouit dans une morgue.
Les jours cendrés
© photo : Jean-Marie Vandeloise
Quelques semaines qu'on nage dans les jours cendrés. Dès qu'on met le nez dehors le paysage autour se colle à notre peau. Les choses viennent se coller, et la césure entre le ciel, la terre, et notre contour, devient hermétique. Quand on aperçoit un oiseau sur une branche, on dirait que tout s'est construit autour de lui. Qu'il était là et que la grisaille est sortie par tous ses pores pour l'encercler. Y a des gens qui ont peur de ces jours cendrés. De tout ce flou pas net qui gravite autour de nos corps. Ils rangent leurs sourires et baissent les yeux. Y en a d'autres qui avancent. Qui brulent le gris avec le peu de soleil qu'ils conservent au chaud à l'intérieur. Ils s'en moquent bien que le ciel ait une gueule de nuit passée à l'eau de javel et que le sol suinte des patinoires rayées. Moi aussi j'men fous pas mal de voir le ciel comme une casquette et le sol comme des grandes palmes noires. Je continue de nager en regardant droit devant. Et en évitant les déchets que les gens tristes laissent trainer dans la mer trouble des jours cendrés.
Pomme
Il se sont assis dans le silence du soir. Ils ont épluché la nuit comme une pomme, et quand le matin a dévoilé la chair du jour, ils n'étaient pas seuls à mordre dans le ciel à pleines dents.
Vietnam
On n'en revient pas indemne. Elle est une sorte de Vietnam. Un tatouage de guerre, un casque troué, une grenade foireuse. On se réveille toutes les nuits pris au piège de ses yeux.
Saurien
Ils se sont rencontrés un de ces matins où la pluie fait ressembler les gens à des sauriens dans un égout.
Coulée de misère
D'ici l'hôpital prend des allures de vieil homme suicidaire. Chaque fenêtre est un œil globuleux qui crache de la misère. L'entrée s'ouvre et se ferme sur le personnel. Rangé comme des canines rongées. Moi je reste sur le parking, et je baisse la tête. Là où la misère s'arrête. Juste au bout de mes pieds.
Jouer aux légos
Il faudrait pouvoir jouer avec le paysage comme avec des légos, recoiffer les arbres comme des poupées, apprivoiser les oiseaux comme des boomerangs, passer son temps à s'amuser sur la couverture pleine de jouets du sol.
Dernières minutes
Je crois bien que j'aimerais que mes dernières minutes aient l'odeur de l'herbe fraichement tondue assaisonnée de soleil.
Insomnia
Pas une seconde de sommeil à me mettre sous les paupières. Soudain les chants des arsouilles de la rue deviennent mes somnifères.
Tout un peuple
C'est tout un peuple qui coule comme du coulis de myrtille sur le flanc des montagnes. Tout autour, la poussière dans le vent, les oiseaux punaisés au ciel, les poissons dans le formol des rivières, les têtes dans les nuages. C'est tout un peuple qui fonce tête baissée vers la fin, les anges, les lueurs, les promesses branlantes qu'on arrose pour qu'elles ne fanent pas. Tout autour, les entailles de la terre, les assauts du temps, les animaux sauvages que les saisons sucent comme des glaces. C'est tout un peuple qui marche les jambes arquées vers son dernier souffle. Tout autour ça respire à plein poumons, les crises d'asthme des volcans, les pleurs chroniques du ciel sur les lèvres gercées du sol. C'est tout un peuple qui court à sa perte avec ses gosses dans les bras et aux pieds les chaines de rêves qui tracent leurs sillons.
Débâcle
© photo : Photos vintage
S'allonger dans la débâcle, un brin de défaite au coin des lèvres, la cape sordide des paysages, devenir une avalanche.
Visages rouges
Le ciel framboise et les petits nuages qui font comme des pépins. Les visages rouges trempés dans les soirs qu'on enflamme du bout des lèvres.
Choc de regards
Il n'y avait qu'eux et le tintement de l'insomnie. Peut être deux ou trois moustiques repus, mais rien d'autre. Leurs regards s'entrechoquèrent au milieu de nulle part. Ils s'embrassèrent des yeux et glissèrent vers le noir tout autour. C'était une de ces nuits où il suffisait de faire quelques pas pour se transformer en ombre.
Préface
La seule solution qu'il ait trouvée pour la convaincre fut de graver la préface de leur histoire dans son coeur à la lame de ses yeux.
Fuite des idées
Savourer la fuite d'une idée dans les fourrées de matière grise. En faire une prière de pauvre, un chant révolutionnaire. Contempler les détritus d'un poème laissé pour mort sous la coupole du temps.
Cheval de troie
Inspiration. Cheval de Troie lâché dans la nature. Petits fantassins à l'assaut des détails vulnérables. Guerre des idées, sang des poètes, lame aiguisée des plumes. Expiration.
Constat
Plus de silence ici que dans le ventre d'un animal mort. Impossible de dire s'il est très tôt le matin ou très tard le soir. Le silence appartient aux extrémités du jour.
Dans le précipice
© photo :Philippe Ramette
Il y a un précipice entre chez moi et ceux d'en face. Un trou profond et bruyant qu'on regarde avec précaution, en passant juste la tête par dessus le balcon. Il y a un précipice entre chez moi et ceux d'en face, dans lequel sont échoués des conducteurs aigris, des excréments canins, des piétons enfumés, des enfants et leurs cartables, des reflets de journées identiques et les ombres des nuits qui vont avec.
Jardins aveugles
© photo : Jean-Michel Priaux
Nos vies comme des yeux qui éclosent et se fanent en regard des jardins aveugles.
Longues traversées
© photo : Teun Hocks
Des lambeaux de jeunesse dans le balluchon sous ses yeux. les longues traversées sur le chemin des rides.
Terrain vague
Un terrain vague au dessus de nos têtes dans le brouillard des clopes, des idées défuntes jouent à cache cache entre les côtes brisées des arbres. Nos bouches fumant comme des usines, les pelles à charbon de nos mains, des pensées tristes qu'on arrache à la chaine du ventre de la nuit.
Sous-sol
Elle se balade dans le sous-sol des nuits, il fait encore plus noir, amasse haillons de misère et guenilles de couleurs, s'en fait de longs colliers. Il fait encore plus noir, tout autour. Alors son cou revêt les plus belles parures de déchets qu'on ait portées ici-bas.
Ordre logique
Elle veut un tatouage de marin sur son bras menu, avant d'avoir le bateau. Je suis également de ceux qui pensent qu'il n'y a pas d'ordre logique pour apprivoiser la mer.
Autant qu'un chat
Il faudrait pouvoir dormir autant qu'un chat, sans avoir à bouffer ses croquettes ni se lécher les parties. Juste pouvoir dormir autant qu'un chat.
Sur la colline
© photo : Cédric Girard
C'est un rituel. Il sort, pose son cul devant sa porte, et contemple. Les herbes qui fondent sur la colline, les rapaces plus haut comme des mouches autour d'une merde fraîche. Avant il voyait beaucoup de lapins. Des lièvres parfois, leurs longues pattes arrières jouant aux piolets sur les flancs du relief. Il n'en voit presque plus, trouve cela étrange, et contemple. Il y avait autrefois plus de lapins que de corbeaux, la tendance s'est inversée. Il ne comprend pas. Il y a toujours autant de nuages gris, autant d'humidité, autant de mélancolie dans les branches squelettiques des arbres, mais il doit admettre qu'il y a moins de lapins à trainer dans les heures brumeuses du matin. Il y a moins de voisins aussi. Avant il n'était pas rare d'offrir un verre aux amis de passage, mais depuis la semaine dernière plus rien. Plus de lapins, plus de voisins. Tout perdu d'un coup, comme si les voisins avaient bouffé ce qu'il restait de lapins et s'étaient barrés très loin.
S'il était fou il se dirait que ça a un rapport avec l'autre matin, quand il s'est réveillé debout dans sa chambre avec de la terre plein les bottes et la carabine encore fumante dans les mains. Mais il sait qu'il a encore toute sa tête, arrête de se poser autant de questions, et se contente d'admirer ce qu'il reste de lapins et de voisins sur les herbes rouges de la colline.
A travers la vitre
Le paysage à travers la vitre, un de ces vieux films muets, l'illusion d'une ivresse, les mouvements d'un éléphant à trois pattes, l'idiotie d'une valse interminable.
Extrait de projet en cours
Roulement de tambour
On vit dans un cirque, au milieu de clowns et de trapézistes, le ciel est un chapiteau et les étoiles des lumières d'apparat. On n'est pour la plupart rien d'autre que des ballons sur le museau d'une otarie.
Chemins de traverse
À l'instant devant l'arrêt de bus. Une fille dans un corps de mec les yeux plantés dans "Le grand livre des astromariages". Elle décortique des signes bizarres, n'en perd pas une miette. Le bus arrive et elle referme le livre sacré qui n'a jamais connu la poussière. Le bus les avale, elle et son bouquin, et je me persuade qu'on emprunte les chemins de traverse qu'on peut pour relativiser nos vies merdiques.
Mégots, rat, et prospectus
Il y a un rat crevé près de la poubelle, un prospectus près du rat mort, trois mégots usés près du prospectus, une ombre triste près des dépouilles de clopes, et le reste du monde la gueule grande ouverte près de l'ombre qui pleure.
Pyromane des ombres
Incendie dans la tête des filles, pyromane des ombres charnelles, cracheur de feu sur matières grises inflammables. Chauffeur des salles fragiles de leurs caboches.
Charnier
L'horizon en charpie, les débris de nuages, le plafond blême du ciel, la chair éventrée des arbres, les feuilles mortes dans les rivières, l'odeur d'une fin dans les civières du vent. L'épilogue des sourires qu'on enterre dans le charnier des visages.
Lune de miel
Étrange lune de miel, partouze d'ours et d'abeilles, bzz bzz shlaaak et groaaar, ours repus et confiture d'abeilles.
Bouquets
Il y a de ces jours aux joues grisâtres qu'on regarde comme des fleurs fanées. Il y a de ces semaines dont on pourrait se faire des bouquets à offrir aux gens qu'on n'aime pas.
Western
Tout est figé. Les oiseaux piaillent entre les crocs d'une minute suspendue. Un homme en santiags repeint le coin de la rue avec de la fumée de clope. Il regarde ses pieds, vers moi, puis revient à ses panards aussi immobiles qu'un mort dans du ciment. Le vent rebondit sur les habitations et fait tinter les volets. Plus personne ne bouge. Même le cabot plus loin qui avait prévu de pisser a rangé son matos. Soudain, les pots d'échappement retentissent. Le feu vient de passer au vert et je poursuis ma route dans le western de la rue.
Plus rien
© photo : Ziza
Plus rien. Du vide, des trous, les rafales de vent dans le gouffre de l'horizon. La nuit en train de buter le jour. La bave séchée sur les sentiers des lèvres. Juste quelques miettes de pain dans les poches qu'on brasse à grandes pelletées de nos mains, en attendant qu'elle deviennent quelque chose.
Petit feu
On ne vit pas à cent à l'heure, on ne meurt pas à petit feu, c'est faux. On se contente de l'inverse.
Emplettes
- Mettez-moi un envol d'hirondelles, cet arbre et sa cabane, et puis une petite rivière...
- Celle-ci ?
- Non l'autre, un peu plus grande, elle accueillera de plus longues balades.
- Ce sera tout monsieur ?
- Non, ajoutez moi également ce coucher de soleil, c'est l'anniversaire de ma femme aujourd'hui...
Extrait du film "Emplettes du dimanche", 2098.
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Idiot
Un de ces matins qui nous écartèlent, nous fendent le visage, nous plient le dos. De ces matins qui nous déterrent et nous braquent à l'eau fraiche. Un de ces matins où il faudrait être idiot pour ne pas se rendormir.
Boule à neige
Il n'avait trouvé que cette solution pour accepter sa condition. Il s'imaginait dans une boule à neige sans la neige.
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