La rosée du matin, sa bave nichée au coin des lèvres. Les champs fatigués, sa peau tapissée d'eczéma. La lumière froide gobée par l'horizon, son araignée domestique qui laisse derrière elle de quoi retrouver le chemin de son épaule pelée.
Maintenant, il va devoir tout reconstruire. Les champs de gruyère, le ciel laineux, des danses instinctives avec les animaux précieux. Il faudra désormais tout reprendre à zéro. Faire s'accoupler les branches humides, tricoter les feuilles et faire cuire des mirages jusqu'à ce qu'ils prennent vie. Il peut presque bouger sa jambe droite, et ses yeux emmagasinent petit à petit les nombreuses couleurs volées par l'explosion. C'est un bon début. Pour l'heure, il lit un vieux bouquin de Poe qu'il a trouvé dans la gueule d'un crocodile, et se sent aussi seul que la première mouche venue se terrer derrière le rideau de dentelle d'une vieille cuisine.
Sous une pierre visqueuse, scolopendres mal lunés, fourmis acharnées, et autres arthropodes démantibulés se livrent à un balai clandestin à l'abri des langues affamées.
Près de la fosse d'épuration, onctueuse soupe de poisson, il y a ce vieux pêcheur presque à poil qui use du poignet pour attraper ce qui déambule sous la vase. Il sort une chaussure, une ceinture, une chemise à carreaux trouée de-ci de-là, la mine satisfaite de ces trésors déterrés de nulle part. Lorsqu'il lui arrive de prendre un poisson à trois yeux, il se contente de le jeter dans l'herbe puante derrière lui, en maudissant le lac de vouloir lui refourguer à manger plutôt qu'à refaire sa garde robe.
Ces pauvres herbes immolées par le soleil et piétinées par un groupe d'adolescents aux pensées lourdes, se font à présent mettre la tête sous l'eau par l'orage et ses esclaves de gouttes.
Il gravit des montagnes de nougat, descend des ruisseaux de marmelade, et marche sur des routes en chocolat. Pourtant toutes les nuits, sous le ciel de caviar, il rêve qu'il vit dans un monde réel et se réveille en sueur.
Cette vieille maison sent le bouillon de souvenirs aux fines herbes macérées dans la sueur. Si on ajoute à cela un extrait de vieille paysanne transformée en braises froides, tous les éléments sont ici réunis pour réaliser un excellent jus de fantôme.
Le fil passe près de l'aiguille, entre les lèvres puis dans l'aiguille, entre les doigts tremblants et recourbés il danse enfin et glisse comme une anguille entre des rochers d'arthrose.
Ses yeux roulèrent comme des globes terrestres poussiéreux, puis plus rien. Juste le souvenir d'une aventure dont on ne revient jamais. Elle s'étala par terre dans le silence et ce fut le plus beau des naufrages.
Il passe sont temps à cracher du tabac. Ça éclabousse sur ses pompes et se mélange à la terre, la pisse, le goudron fondu, et la paille, qui représentent toute sa vie.
Trois enfants jettent des pierres plates et des rires sur le lac, font s'envoler des hérons cadavériques, et se foutent des nuages gris qui flottent sur leurs têtes blondes, persuadés que la vérité sort de leurs bouches gercées.
La première feuille d'automne s'est écrasée comme une merde, sans bruit, dans l'ignorance la plus totale, sur l'agonie d'un chien errant esclave du trou du cul du monde.
Il quitta sa maison sur un coup de tête, et posa ses pieds vierges sur des sentiers perdus. Il marcha longtemps, plusieurs années peut être, au son des cours d'eau et au rythme des envols de canards sauvages. Quand ses pieds eurent goûté aux ronces, aux piqures en tous genres, et au bitume délavé de la campagne profonde, il revint s'affaler dans son fauteuil, une bière à la main, et replongea dans ce même isolement qu'il s'en était allé chercher en vain dans les prés enneigés.
Quand le ciel dégouline sur les toits et goutte sur les trottoirs, il longe les quais tel un fantôme , et boit les larmes que cette photo déverse sur ses vieilles joues.
Quand rien ne va plus, il écrit des lettres à son estomac, et les avale goulument. Il n'est pas rare qu'il les retrouve chiffonnées dans la benne à ordures.
Sa chambre était une décharge à ciel ouvert. Tous les jouets étaient venus tout droit de sa tête pour échouer lamentablement sur le parquet : un yoyo-chauve-souris, des petites voitures faites de rats naturalisés, des tapis de jeu en peaux de lapins, un mobile de canards colverts, un renard à bascule, et j'en passe. Ce qui me répugna le plus, fut sans aucun doute ce bilboquet réalisé à partir d'un petit singe assis qui était relié à un rouleau à pâtisserie à l'aide de ficelle de cuisine.
Il s'est débarrassé de son ombre en la piégeant derrière celle d'un mur de prison. Malheureusement pour lui, pas l'ombre d'un gardien pour la surveiller, et elle lui court encore après comme un coyote au régime.
Une pluie de confiture de framboise a recouvert tout le village, les insectes sont alors devenus rois, et le peuple tartine l'esclave d'une main géante, avant de se faire engloutir par une mer de café noir.
Un énorme tyrannosaure violet me poursuit et fait planer au dessus de moi ses canines longues de plusieurs mètres. Je cours à plus de 80 kilomètres heures accompagné de deux personnes inconnues à la peau verte et nous chantons des chansons paillardes en essayant d'échapper au monstre. Dites-moi que je rêve, je vous en prie, pincez-moi!
Ses matins chantent comme des casseroles, et ses soirées pleurent comme des torrents. Entre les deux, un précipice accueille au creux de sa main un cimetière de loups.
Elle nage dans le même bassin que les gros poissons de la politique, et les requins de la finance, mais cette tanche ne sait faire autre chose que buller.
Le moral dans les chaussettes, un compas dans l'œil, les jambes à mon cou, une chanson dans la tête et une idée derrière, un poil dans la main, un coup dans le nez, un cheveu sur la langue, les jambes en coton, les doigts de pied en éventail, et mes poches trouées, m'ont poussé à jeter tous mes miroirs.
Chaque jour le ciel s'effrite un peu plus, laissant tomber flocons, grêlons, et fines gouttes, sur les cafards qui errent entre les désastres qu'on leur balance.
J'ai roulé pendant une bonne heure sans autre compagnie qu'une pelle pleine de terre. J'ai reconnu tout de suite l'endroit. Le gros rocher, le buisson sec à deux doigts de prendre feu, et des bêtes sauvages transformées en os par le temps. J'ai compté les pas avec ma pelle, puis je l'ai plantée un premier coup machinalement. Ça a fait clop. J'étais venu déterrer mes vieux démons et mes jambes s'enfonçaient dans le sol à mesure que les coups de pelle accéléraient.
Ils ont démoli la vieille maison en face. Certains disent que c'est aussi facile que de faire tomber un château de carte, mais à les voir faire, ça semblait aussi difficile que de venir à bout d'un squat de fantômes.
Le dos esquinté à force de camper sur mes positions, j'ai fait frire quelques sardines et l'ai rappelée pour lui demander si ça la tentait, de ronger du poisson à la belle étoile.
Nous sommes les ombres de nos morts, la chair de nos squelettes, et la farce de nos carcasses puantes. A part ça, peut être des points perdus sur une carte à côté de "vous êtes ici".
Il faudra des litres de rhum, des kilos de cigarettes, des remorques de cauchemars, des cuves de larmes, des années de blabla, des milliers de compliments, et des chaleurs exceptionnelles, pour qu'il oublie ce qu'il a fait ce matin.
Elle est remontée dans sa voiture comme un ange plein de cambouis. Elle a planqué ses yeux derrière de grosses lunettes de soleil. Pour tout dire elle m'avait probablement déjà oublié. Je l'ai regardée partir, impuissant, et j'ai cru un instant que j'avais 5 ans et qu'on venait de m'arracher ma première barbe à papa des mains.
Il l'a regardée passer. Amorphe, les jambes en coton et les yeux tétanisés. Comme un con il l'a regardée passer. Elle était pourtant belle et il aurait pu la saisir, mais lui, comme un con, il l'a regardée passer cette opportunité.