Tous les matins, ce type attache son chien devant le bureau de tabac. Et le chien devient alors aussi seul que la dernière pomme pourrie d'une corbeille à fruits. Le chien du type attend, son cul posé sur le pavé froid. Parce que le matin, le pavé n'est pas plus chaud qu'un mètre carré de banquise. Sa langue attend aussi, avec lui, et parfois elle glisse entre ses dents comme si elle voulait se barrer. Mais le chien la rattrape toujours. Le type met des plombes à acheter son journal, ses clopes, et à compter ses pièces. Puis il fait des sourires à la fille derrière le comptoir, qui vend sa came et quelques battements de cils. Et le chien attend toujours dehors, tout seul avec sa langue qui cherche à se tirer de là. La corde qui le relie au poteau n'est pas serrée, et il ne faudrait pas grand chose pour qu'il se taille avec la langue que son maître aime bien recevoir sur la joue. Mais il supporte encore les solitudes qui précèdent les retrouvailles. Son maître, lui, n'attend plus rien de tout ça. Il se sent même probablement moins seul quand il entre dans le bureau de tabac que quand il repart avec son chien triste et sa langue. Mais ils repartent ensemble tous les trois. Le type, son chien, et sa langue. Dans le même brouillard. Ils sont seuls chacun de leur côté et la laisse est une sorte de petite troupe qui danse entre leurs peaux. Si le vieux venait à crever, le chien passerait surement le restant de sa vie à attendre devant le bureau de tabac qu'il en sorte. Si c'est le chien qui crève le premier, le vieux, lui, finira probablement ses jours dans le bureau de tabac. Avec le sourire et les cils de la fille derrière le comptoir. Mais ce matin encore, le type et son chien repartent seuls dans le même brouillard, avec l'optimisme d'une laisse qui danse entre leurs peaux.