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© photo : Eve Arnold

Nos mines tragiques
se retrouvent
bloquées dans l'hiver
entre deux saisons chaudes
comme les mots doux
froissés d'avoir
été trop lus
s'en vont
se faire écraser
entre deux pages
d'un livre

Accroche-toi


Prends garde
parfois
ce qui te porte
se déporte
et s'emporte

Faits l'un pour l'autre


Ils avancent ensemble
serrés l'un contre l'autre
blottis dans leurs
petits échecs
Lui n'a pas inventé
l'eau chaude
mais par miracle
elle déteste
le thé

Croquer la vie

© photo : Jeanne Blom

Il n'est
jamais trop tard
pour croquer la vie
à pleines dents
mais il reste préférable
d'y aller progressivement
Tenez
ce type par exemple
qui n'en est
qu'à ses balbutiements
commence par faire
comme si
chaque jour
était le dernier jour
de la semaine

Partis trop tôt

© photo : Bill Thomas

C'est triste
tous ces gens
qui ne prennent pas
la peine d'attendre
ce qui les attend

Pense-bête


Penser à tricoter
un ou deux sourires
bien chauds
pour passer l'hiver

Le sens du partage


On va pas
se battre
y a pas assez
de nuages
pour tout le monde
je vais plutôt prendre
le soleil

Cambouis


Il se lève. Ses genoux et ses poignets craquent. Ses yeux cherchent en vain un endroit où se poser deux minutes. Il s'allume une clope, se sert un verre. Ses poumons sont le dernier endroit où l'oxygène voudrait aller. Pourtant l'oxygène prend la peine de faire l'aller-retour entre l'obscurité de l'appartement et le tréfonds de sa poitrine. Là, un cœur s'acharne au milieu du cambouis. Il lui faut ramer pour essayer de maintenir la cadence. Ça fait 50 ans qu'il bosse 24 sur 24, 7 jours sur 7. Ce cœur en a sa claque. De temps en temps il fait semblant de s'arrêter. Il lâche tout et le type en haut lui crie de reprendre à ramer. Un jour le cœur en aura vraiment marre de se faire traiter comme un chien. Pour le moment, il continue de trimer sans broncher, en espérant qu'une fille ou un autre évènement viendra améliorer sa condition. Il lui laisse quelques mois pour rencontrer des yeux, un cul, une paire de nibards, ou n'importe quoi. Et si rien ne se passe, il claquera la porte et laissera l'autre prendre sa place au fond du trou.

Tout est bien qui aurait pu mal finir


Ils ont trouvé son mot
gribouillé sur le frigo
"Suis parti la rejoindre"
ont pris peur
l'ont cherché partout
ont pensé à elle
plus instable qu'un
trépied amputé
se sont rendus en trombe
à son appartement
(traversez le pont
troisième à gauche
passez devant l'épicerie rouge
au prochain feu à droite
roulez 300 mètres
vous êtes arrivés)
sont entrés
sans frapper
et en arrivant dans la chambre
l'ont retrouvé pendu
aux lèvres de cette fille

Seul et mal accompagné


Seul
dans la ville
les mains vides
la tête pleine
le regard rampant
sous le rire moqueur
des étoiles

Bicoques à retaper

© photo : Austin Mann

Le jour se lève
repeint nos visages
nos corps
fait sa pause de midi
sa sieste
puis effectue les
dernières retouches
Alors les bicoques
que nous sommes
tombent dans l'obscurité
et la nuit nous visite

Malbouffe


Elle lui demande
si le monde
se boit ou se mange
Il hésite
Lui même n'y a
jamais vraiment goûté
Il lui répond
que pour lui
mieux vaut
éviter l'un et l'autre
car le monde
si appétant soit-il
reste dur à digérer

Hygiène dentaire


Dans un monde idéal
je pourrais choisir
de n'honorer qu'un seul
de ces deux rendez-vous
Soit celui pour les dents
soit celui pour le taf
Un seul
de ces deux rendez-vous
serait déjà beaucoup
mais supportable
Pourtant je vais
bel et bien devoir
répondre présent
deux fois
Tout ça parce qu'un jour
l'Homme
dans un éclair de génie
a décidé que
pour vivre convenablement
il fallait être pourvu
de dents blanches
et aiguisées

Choix cornéliens


Tes pieds nus
du fond de 
la baignoire
me crient
"rejoins-nous
sous la douche"

et mon oreiller
dans la confidence
me chuchotte
"reste donc 
avec moi"

À consommer sans modération


Quelques mots en forme de tournée générale, 
à propos de La nuit se bat sans nous
sont à lire chez le fameux tenancier belge : Éric Dejaeger

Crever à reculons


Considérant
le long chemin
déjà parcouru
et la fin du voyage
se rapprochant
chaque jour un peu plus
la meilleure solution
pour retarder le dénouement
est d'aller de l'avant
en marche arrière

Scaphandriers du souvenir


Tout ce qu'on remonte
des eaux troubles d'hier
tout ce qu'on lustre
tout ce qu'on montre
tout ce qu'on rejette 
à la flotte

La vengeance de l'écran


Il n'y a plus qu'elle
dans le cinéma
Elle s'est endormie
avant la fin du film
et c'est maintenant
au tour de l'écran
de s'assoupir
en la regardant

Planqués au milieu


Nos petites rondes
nos petites danses
nos cachettes secrètes
sises à égale distance
entre vertige
et claustrophobie

FPDV - Balade exquise dans la poussière


Ça se passe chez FPDV, ICI.

Trou normand


Il en va
de certaines heures
grandioses
diluées dans une vie
comme du trou normand
au milieu d'un repas

Combat de coqs


Après la cohue 
de l'autoroute
il se retrouve au calme
d'un restaurant
avec cette fenêtre à sa gauche
et une serveuse appétissante
faisant les cent pas
entre les tables
Le genre de serveuse
qui plait à tous les hommes
Dehors il commence à neiger
La fenêtre est une télévision
et la serveuse trimballe
son parfum dans l'allée
Il va devoir intervenir
rapidement les séparer
Il n'a jamais aimé
les combats de coqs
Il ne supportera pas
plus longtemps
que le cul de la serveuse
et la neige
se disputent
son regard

Ne pas chavirer


Le soleil s'engouffre
inonde la pièce
Le canapé
semble flotter
Je ne bouge plus
Je tiens bon

Braconnage rétinien


Il lui a dit que ses yeux étaient une espèce en voie de disparition. Elle a claqué des paupières, avec la lenteur d'un animal qui se tapit au creux d'un buisson. Il a rechargé sa bouche pour continuer de l'encenser. Lui a avoué qu'il avait peur qu'une tapée d'autres gars vienne lui tourner autour. Alors le petit animal sous ses paupières a bougé un tout petit peu. Il n'avait jamais vu de regard de cette trempe. Et ses yeux se sont mis à la mitrailler tout ce qu'ils pouvaient, la faisant battre doucement des paupières. Il y a quelques années, elle serait tombée facilement dans le piège. Mais aujourd'hui elle savait bien que les braconniers de sa sorte entassaient dans leurs cœurs autant d'espèces en voie d'extinction qu'ils traversaient de terrains de chasse.

Les trous font des montagnes


C'est avec
les tas de souvenirs 
extraits en se creusant la tête
qu'on parvient à combler
un trou de mémoire

Une parcelle entre hier et demain


Je n'ai pas
de conseils à donner
mais essaie donc
de faire pousser
quelques instantanés
d'allégresse
dans la parcelle
qui relie
d'où tu viens
à où tu vas

Aider la suie


Rattraper au vol
la nuit qui tombe
et l'accompagner
dans sa chute

Je me demande bien


Il l'observe
seule et pensive
dans son coin
et il se demande bien
ce qu'elle
se demande bien