Il est debout sur le balcon. Il parle avec ses yeux à une vieille plante crevée. Il n'y a pas un bruit. Il ouvre la bouche et sa salive fabrique un cri. Il envoie ce cri à l'autre bout de la ville. Sans bagages. Un cri solitaire qui n'a pas besoin de bus, ni de voiture. Un cri qui court entre les platanes et se heurte aux grillages des maisons. Un cri qui vadrouille et enfonce les portes. Qui atterrit dans les oreilles des chiens. Dans chaque petit trou que la pluie a creusés dans la terre. Un cri qui monte et s'en prend à une horde d'oiseaux. Qui s'en va clopin-clopant gagner la guerre du silence. Son cri rejoint un autre cri. Puis un autre. Plusieurs cris se sont donnés rendez-vous au carrefour à la sortie de la ville. Pour s'échapper vers la campagne. Là où les petits cris urbains deviennent l'écho des nuages. Il y a une armée de cris, que le vent écrase au milieu d'un champ. Livrés à eu-mêmes dans le silence des périphéries.
Il est toujours debout sur le balcon quand la foule de cris rebondit sur les arbres. Se fracasse sur le cul des vaches et envoie valser quelques mouches. Là-bas les cris restent à l'intérieur. A l'intérieur des gens, à l'intérieur des bêtes, à l'intérieur des petites maisons cloisonnées. Il faut beaucoup de cris venus de la ville pour rameuter les cris de là-bas. Là-bas on ne crie que la nuit. Quand les cris ne risquent pas de se faire étouffer par une averse. Il fera bientôt nuit. Les cris de la campagne et ceux de la ville vont s'entretuer. Il n'y aura pas de sang. Il y aura du silence. Parfois un minuscule bruit plein de bravoure ira se percher sur une branche. Il n'y aura plus rien que des centaines de cris le ventre à l'air sur l'herbe fraîche. Il quittera le balcon. Il pensera à ce cri envoyé au casse-pipe entre deux nuées d'échappement. Cette nuit il méditera de nouveaux cris. Demain il en libérera d'autres. Peut-être qu'un jour un de ses cris ramènera un cri de là-bas. Un bruit sourd, aveugle, seulement guidé par les quelques remords qui lui servent de boîte vocale.
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