Extrait de roman en cours

 

Nous n’avons pas décroché un mot. Et je me suis retrouvé avec cette petite bête à pinces qui se dandinait  près d’une casserole en pleine ébullition. 

J’ai regardé le homard. Il m’a regardé. Nous en étions au point ou chacun demande à l’autre « Si tu as quoi que ce soit à me dire, c’est le moment, parce que dans cinq minutes il sera trop tard ». Je pense que c’est ce que nous avons imaginé tous les deux. Une quasi certitude, que le homard s’est posé cette question et moi aussi. 

J’ai éteint le feu et j’ai remis le homard dans le sac. Je suis descendu vers le lac. Je sais bien que les homards ne doivent pas survivre longtemps dans l’eau douce. Pourtant, si on demandait à un homard s’il préfère l’eau douce à l’eau bouillante…

Douce, toute douce, l’eau de ce lac était si douce, parfaitement douce. Ce mot suffit à penser que n’importe quel homard aurait été ravi. 

Je l’ai sorti du sac et déposé sur le bord. Il m’a semblé qu’il essayait de dire «Que cette eau a l’air douce, très douce, parfaitement douce ». Je ne voudrais pas parler à sa place mais vraiment j’avais entre les mains une sorte de homard comblé. C’est marrant, ces deux mots ne vont pas vraiment ensemble. Enfin je veux dire, est-ce qu’un homard peut être comblé, heureux, l'acteur principal d'un état de grâce ? Je ne sais pas. 

Je me suis contenté de le déposer dans cette eau très douce et il a filé, comme comblé, riche de quelque chose, loin de tout besoin, ayant une ou deux vies d’avance sur moi.

Aucun commentaire: