Rongeurs, lettres du front


Cher Rongeur bucolique,

Je viens de rentrer chez moi. J'ai l'impression qu'ici la nuit tombe plus tôt que n'importe où. C'est drôle comme elle s'amuse avec les visages. Je ne sais pas si c'est comme ça chez toi. Ici les bouches heureuses la voyant débarquer se planquent vite fait bien fait sous des barbes ou des écharpes. Quand les ombres humaines s'accouplent à celles des immeubles, je ne donne pas cher des derniers sourires qui disparaissent avec les derniers rayons de soleil.

Et alors les pieds deviennent des horizons. On se croise entre deux lampadaires, on laisse passer un chien, une femme et sa valise, un cerveau embué dont le ciel noir aspire déjà les idées. Ce soir dans le tramway il y avait un type saoul qui gueulait tout seul au milieu du couloir. Et les yeux de tous les passagers le balayaient, sans s'arrêter sur le corps ivre qu'il était. Comme des petits balais qui auraient passé sur ses écarts en forme de miettes. Des dizaines de petits balais qui faisaient le ménage, chacun à leur rythme, sur l'état déplorable de ce type. Et ce type, lui, il devait tous les balayer avec son seul petit balai. Alors j'ai aidé ce type à balayer les passagers. Et j'ai vu leur misère. Il y avait dans leurs yeux des petites photos de bêtes crevées. Et le type chantait un bonheur que personne ne comprenait. Je n'ai pas pu savoir lequel de ce type ou de "tous ces passagers" était le plus malheureux.

En rentrant chez moi je me suis dit que ça faisait peut-être trop longtemps que cette ville m'hébergeait. Et la soirée est passée, douce, avec beaucoup de chaleur à ses trousses. Et puis très tard, comme pour me faire mentir, je me suis endormi contre sa chair chaude. Et c'était un peu comme si je m'étais réveillé dans une autre ville.

J'espère que tu vas bien,

Rongeur urbain


Extrait d'un projet en cours, "Rongeurs, lettres du front",  en collaboration avec mon pote Thoams, rongeur du Luberon

Méthodes de survie


Il faut
chasser les crasses
et pêcher des combines
pour rêver
à sa faim

Sursis de bon temps


Ce matin
un moucheron s'est posé
sur le rebord
d'un verre d'eau
J'ai hésité
quelques secondes
à le faire disparaître
Puis je me suis mis
à sa place
paisible
les pieds dans l'eau d'un lac
au milieu de l'été
et j'ai entraperçu
soudain
l'ombre d'un doigt géant
prêt à me transformer
en une ridicule tâche de sang
et le frisson dans mon dos
m'a soufflé que
personne
ne méritait ça

Tes retours silencieux


Sous la pointe
de tes pieds
se cache le silence
dont j'ai besoin

Sur la berge


Dernières ondulations du jour
chacun s'échoue
sur sa berge de nuit
Des souvenirs lumineux
et quelques vagues
de tendresse
font le va et vient
sur nos corps fatigués
Bientôt nous dormirons

Entourloupe de fin de semaine


Les dimanches
sont des lundis
déguisés en samedis

La politesse de l'insulte


On s'en danse
Va te faire rire
Tu me dégustes
 
(prends ça dans ta poche)

V'là ton auge


Certaines filles déposent
chaque jour
avec leurs yeux
des gamelles d'espoir
pour nourrir
les petits cœurs sauvages
comme le tien

La danse du vide


Chuter
c'est danser
avec le vide

Comme on contemple un paysage


Il sait
qu'on ne contemple pas
un mur de béton et un pré
de la même manière
mais les choses seraient
tellement plus simples
si elle le regardait
comme un beau paysage

Réveil décousu


Que faire de
ce fil de lumière
de cette étoffe de poussière
de cette aiguille de soleil
posée sur la table de nuit ?
Finalement
je me rendors

Votre petit manège


Je ne suis pas dupe
Toi et le soleil
complotez dans mon dos
depuis plusieurs années
Mais je ne saurais dire
lequel de vous deux
à donné l'idée à l'autre
de me faire aller ainsi
de l'avant

En travaux

© photo : Doug Aitken

Le sentiment que tout est à reconstruire. Trouver d'autres écrous où revisser ses yeux. Refaire couler la chape tout autour de son cœur. Bêcher les allées sèches au dessus de ses paupières. L'impression qu'il faudra des années pour remettre sur pied la bicoque abandonnée qu'il est devenu. Refixer les images échouées au centre de sa tête. Réhabiliter un chemin à suivre, long et bordé de fleurs. Arracher les mauvais souvenirs et replanter des songes. Mais dans un premier temps, surtout, retrouver ses outils.

Entre deux bateaux


Il traverse le pont
c'est là qu'ils se sont rencontrés
au milieu des bateaux
sur le bitume chaud
entre deux eaux
C'est de là qu'il aimerait sauter
l'endroit parfait
quand on ne sait pas nager
mais le risque est grand
de tomber sur un bateau
qui l'emmènerait
assez loin pour
recommencer à vivre
et peut-être
qu'il n'en a plus envie

Fraises bleues


Là-bas
le ciel est couleur fraise
mais les fraises
n'existent pas

si bien
qu'il ne saurait plus dire
de quelle couleur
étaient ses yeux

Il prétend qu'ils avaient
la couleur d'une fraise
qui n'existe pas

Grimpette


Un pied sur hier
une main sur demain
les dents de ton sourire
sont des piolets

Parution - Florilège n° 144 - Septembre 2011


Le numéro 144 de la revue Florilège vient de paraître. Au sommaire :

Johel Mitéran, Guillaume Siaudeau, Sylvie Righetti, Skadeline, Jean-Michel Hatton, Hafsa Saifi, Jean-Louis Bernard, Olivier-Félix Hoffmann, Stella V. Radulescu, Christian Amstatt, Louis Lefebvre, Jean Claval, Yvan Avena, Michel Autrand, Elisabeth Reyre, Bruno Curatolo, Hugues Laroche, Annick Paparella-Cullard, Nicole Hardouin, Louis Delorme, Florent Lhuissier

Plus d'infos ICI !

Solutions alternatives


Se foutre en l'air
en suivant des yeux
les oiseaux

Repos de colère


Parfois
il n'existe plus rien
qu'un long silence
pour faire s'endormir
tranquillement
une colère agitée

Les lamelles de l'horizon


Observer l'horizon
à travers le store
de la cuisine
comme fouiner
dans le ventre d'un zèbre
qui aurait mangé
n'importe quoi

Rouge colère / Blanc cachet


Ne t'étonne pas
si je m'emporte
un peu ce matin
Depuis toujours
je calque
mon humeur
sur la couleur
des nuages

Dormir dehors


Heureusement
que cette fille
qui a un nom
à coucher dehors
a aussi un regard
à allumer des feux

Tueuse de rêve


La lumière marche
sur la pointe des pieds
entre dans la chambre
par la fenêtre
escalade le lit
laisse ses traces de pas
sur l'oreiller
grimpe sur nos visage
endormis
et dans le silence
du petit matin
se jette sans pitié
sur nos rêves innocents

Voie de détresse


Au bord du fossé
une gentiane
pétales écarquillés
un petit peuple
de pissenlits curieux
une carcasse de chat
quelques mouches
et mes yeux

Les prédictions de Dents-cassées


Nous sommes foutus. Dents-cassées a raison. Dents-cassées c'est le vieux type qui reste devant chez lui à regarder les bagnoles passer. Dents-cassées l'a prédit depuis longtemps. Nous sommes foutus. Dents-cassées dit que quand autant de types se battent pour si peu de choses, la sueur qui dégouline de leur cou est une essence d'échec. Foutu que nous sommes. Parce que nous sommes ces types qui se battent pour peu de choses. Dents-cassées, lui, il reste là les bras croisés avec ses prédictions et ses "j'vous l'avais dit". Et les bagnoles défilent avec dedans des types qui se battent pour peu de choses. Nous sommes foutus parce qu'il n'y aura pas assez de peu de choses pour tout le monde. Alors on monte dans des bagnoles et on passe devant Dents-cassées. L'air de rien. Et Dents-cassées observe le pneu et le bitume se frotter le plastique. L'autre jour jour on lui a dit qu'il restait un petit espoir. Mais il n'a rien voulu savoir. Nous sommes foutus et Dents-cassées fait tomber ses bras le long du corps en répétant que nous sommes foutus. Trop de types pour peu de choses. Il faudrait soit éliminer le malaise des types, soit augmenter le nombre de peu de choses. Mais on se contente de filer vitres ouvertes vers le plus de malaise et le moins de peu de choses. Alors nous sommes foutus. Et c'est pas Dents-cassées qui dira le contraire.

Parution - Nouveaux Délits n°40 - Oct. nov. déc. 2011


Le numéro 40 de la revue Nouveaux Délits paraîtra début octobre. On y retrouve quelques-uns de mes poèmes, et plein d'autres belles choses.

AU SOMMAIRE : 

Délit d’amour :
Hommage à Beb Kabahn (1974-2011), graphicultrice de stigmates, écrivière en proséïe et tellement plus et encore.
Hommage à Yann Orveillon (1941-2011), poète et voleur de feu, au cœur océan.
Délit de poésie : Muriel Modély, Patrick Aveline et Guillaume Siaudeau
Résonances : 1 livre, 1 recueil, 1 groupe de musique, 1 couple de photographes.
Délits d’(in)citations s’éparpillent comme toujours à l’automne et vous trouverez le bulletin de complicité, très au fond en sortant, qui adore jouer lui aussi les feuilles au vent...
Illustratrice : Corinne Pluchart

Pour plus d'infos, ou pour lire l'édito de Cathy Garcia, c'est par ICI.

Se relever de tout ça


La nuit, les feuilles, les verdicts, la neige, les têtes, les cheveux, les sentences, la foudre, les oisillons, les bras. Toutes ces choses qui tombent autour de nous et au milieu desquelles il nous faut nous relever.

La nuit se bat avec les poissons rouges


Deux chroniques à lire sur Le Pandémonium Littéraire :
Une approche de "La nuit se bat sans nous" par ICI
et une petite dissection de "Poissons rouges" ICI
Grand merci à Marianne Desroziers.