Insomnies



Au loin la mer, le cri des oiseaux nocturnes, et sur la berge nos insomnies assises côte à côte dans la mélasse de la nuit.

Claquement de libellules



Elle est partie sans dire au revoir. Elle a juste fait cligner les deux papillons qu'elle avait à la place des yeux, haussé les deux collines fleuries qui lui faisaient office d'épaules, puis elle est partie sans dire en revoir. Comme ça, plus rien,  elle s'est effacée comme un paradis bancal, d'un claquement de libellules.

Folie



Elle habite dans le village des souvenirs. Elle passe ses journées à surveiller un troupeau de moineaux qui lui donnent du bon lait crémeux. Souvent, elle jette de vieilles photos dans le puits de l'oubli, à deux pas de sa porte fermée à double tour. Quand le matin elle arrose ses fleurs en plastique, elle se demande parfois comment il est possible de vivre tout ça attachée à un lit d'hôpital.

Glissée



Cachée dans sa chemise de nuit au fond du couloir, elle est un ricochet sur la surface d'un lac.

Crocs



Peut-être un jour s'en ira-t-il planter ses crocs dans le paradis des hommes, pêcher des idées dans la matière grise des animaux sauvages, et boire l'alcool enivrant des saules pleureurs. Peut être qu'un jour il quittera la décharge et fera de ses yeux deux cartouches lancées dans le cœur de ses cauchemars poilus.

Dicton



Qui veut voyager loin ménage sa voiture.

Station service

© photo : F. Della Faille

A la station service, un croque-mort rempli son réservoir, un mec mal rasé sort de la boutique avec un sandwich aussi triangle que son visage, une fille en talons aiguilles tente vainement de regonfler ses pneus lisses, et le temps d'une seconde, chacun regarde sa montre pour ne pas manquer une miette de la fin de cette journée grisâtre. Il faut avouer que la pendule du monde est bien huilée ce matin.

Destin


Tu aurais pu être un fruit juteux qu'on savoure sous le soleil, si tu n'avais pas été cette olive entière prisonnière d'une merde de cabot gelée sur le trottoir.

Malheur


Il en faut peu pour être malheureux, les pieds dans la bave de la terre et les mains dans le cambouis des idées noires.

Voyageurs égarés


Tout est sans dessus dessous. Des cris d'oiseaux s'enlacent entre les branches, des fleurs sèchent dans l'herbier des fossés, le vent fouette les joues comme une respiration profonde s'en va cracher son dernier râle. Puis au creux de ce cimetière d'odeurs, un vieux mur en pierre dégueule du lierre sur les herbes pisseuses des voyageurs égarés.

Grotte

© photo : Neverends

Quand je me retrouve nez à nez avec la lumière impudique du matin, je me dis qu'on en a de la chance de pouvoir se terrer dans la grotte sombre des nuits mystérieuses.

Funambule


Entre leurs bouches closes, des mots funambules tentent de traverser un fil de silence, et s'écrasent un à un sur leurs pieds trempés de larmes.

Hameçon


Patinoire de goudron sur l'autoroute désaffectée.
Les mômes narguent le soleil et strient la glace noire
d'empreintes de caoutchouc baveux.
Leurs silhouettes s'enfuient soudain,
plantées sur des vélos rouillés,
vers des cieux d'herbes fraiches
et de poissons nacrés.

Bientôt les gamins disparaissent au loin
comme des hameçons dans le ventre du ciel.

Combustible


Il est un feu, à la place de son cœur, dans lequel il jette les branches mortes de l'amour combustible.

Bec


Plus on me vole dans les plumes, plus on me prend le bec, plus je me sens pousser des ailes.

Heureux


Depuis qu'il traine son cul tard le soir entre les lampadaires éteints de son cœur vide, il est heureux comme un poisson dans l'eau de vie.

Merdique


Soudain le train s'engouffre dans le tunnel, et enterre aussitôt l'homme d'affaires dans le tombeau d'une journée merdique.

Boucles

© photo : Meggan Gould

Des corbeaux dorés dansent au bout de ses oreilles, qui surplombent les collines de ses fines épaules.

Transpiration


Dormir à la belle étoile, sous l'aisselle de l'univers, dans les poils argentés des constellations, et y respirer la transpiration acide des nuages gonflés de sueur.

Oeil de bœuf


Il regarde à travers ses lunettes rayées comme dans l'œil de bœuf de sa porte d'entrée, le souffle court et perdu dans un petit champ de visions troubles.

Wagon


Derrière la vitre du train, des vaches presque à l'abattoir, des arbres tués par l'automne, des champs désertés par les couleurs, et moi, assis bien au chaud dans la vie du wagon.

Arachnophobie


Araignée du matin catin, araignée du soir déboires.

Effeuiller


Là où les marguerites ont prospéré, elle recolle aux tiges nues leurs pétales pour saboter les vœux futiles des amoureuses.

Aller-retour


Je reviendrai dans quelques jours, et autant de nuits.

Stalactite


Quand la femme de glace pleurait le soir, elle se transformait en bonhomme de neige jusqu'aux éclaircies du matin.

Plastique


Cracher sur les fleurs de la postérité, arrogantes, et fièrement dressées sur le piédestal de nos tombe.

Carrière


Après avoir passé la moitié de sa vie à baiser des mains, il décida de se mettre à nickeler des pieds.

Bordel


Un couteau rouge sang, des mots gribouillés à l'indélébile, des sourires presque effacés, des moments chauds en milieux froids, des projets jetés maladroitement sur les parois, des yeux vairons, des odeurs de charogne, et des peaux caressées. Un jour, il faudra vraiment qu'il fasse le tri dans sa tête.

++++


++
Elle se repose enfin
dans le champ fleuri
des éternels souvenirs
++

Jour / nuit


J'ai voulu lui faire visiter l'immensité de ma nuit, mais elle s'est cachée dans les replis de son jour.

Formol


Des nuées de papillons inonderont tes cheveux, des tapis de marguerites s'épanouiront sur tes pieds, des meutes d'oiseaux rares piailleront à tes oreilles, et je n'aurai plus alors que quelques secondes pour figer la scène dans le formol de mes yeux.

Déesses


Il n'y a que les déesses qui n'ont pas besoin d'écrire des poèmes.

Crépuscules

© photo : Claude Bour

J'aimerais m'allonger dans ces crépuscules en mousse, pour contempler ce que reflètent les yeux des prédateurs, la rosée timide des matins rouillés, et les eaux ocres de nos campagnes embuées.

Envol

© photo : Parke Harrison

C'est ce jour là seulement, quand il a compris qu'il passait son temps à piétiner la terre, qu'il a appris à voler.

Architecte


Il a toujours construit des arcs prêts à être posés sur le ciel, son atelier était une palette de peintre et quand on en repartait nos chaussures graissaient des couleurs sur les chemins gris des forêts. C'était le dernier architecte du ciel, qui parfois posait un nuage ça et là, entre deux oiseaux suspendus aux étoiles. La seule chose qui pouvait le mettre en rogne pour longtemps était qu'on ouvre sa grande armoire en ébène. C'était là qu'il rangeait les nuages gris, les fioles d'eau de pluie, et les éclairs puissants qu'il n'utilisait que de temps à autre pour qu'on parle un peu de lui ici bas.

Enterrement


Elle l'a roulé en boule dans un drap troué, puis s'est engagée sur le sentier le tenant à bout de bras, le plus loin possible de ses hanches. Elle a marché plus lentement qu'elle ne l'avait jamais fait. Certains arbres semblaient se moquer d'elle, d'autres lui facilitaient le passage et l'aidaient presque à tenir le coup. Elle n'avait jamais pris conscience qu'il était aussi lourd. Un peu de poils dans un drap troué n'aurait d'ailleurs jamais du être aussi pesant pour ses épaules. Ils ont marché tous les deux, la mort se servant de la vie comme d'une béquille. Parfois elle s'arrêtait, soufflait, crachait sur des champignons mal placés ou sur des mûres pas encore sauvages. Quand elle a été satisfaite de l'endroit, elle a posé le drap dans un coin de la vie, puis s'est mise à creuser la terre de ses ongles cassants. Elle s'acharnait, se battant régulièrement avec de gros cailloux prisonniers des sous-sols terrestres. Le petit trou est devenu une crevasse, puis un tombeau profond. Elle a repris le drap, chialé un coup, puis l'a jeté dans sa dernière demeure. Dans sa chute, le drap a laissé entrevoir une patte de son chat. Elle n'a pas jugé nécessaire de la recouvrir. C'était finalement pas mal d'avoir un pied en dehors de tout ça. Elle a remis la terre jusqu'à faire disparaître le trou. Avant de repartir vaquer à ses occupations, elle a craché sur la terre fraîche qui allait, dès qu'elle aurait le dos tourné, se jeter sur lui et le dévorer jusqu'à l'os.

Rayon


Prends garde petit rayon de soleil venu m'amadouer dans mon sommeil, la nuit aura dans quelques heures raison de toi, et de l'ensemble de tes prétentieux sosies lumineux

Interpretation


Dans les yeux globuleux de cet escargot amorphe croisé tôt ce matin, j'ai cru comprendre qu'on n'avait pas fini d'en baver.

Rescapés


On sous-estime trop souvent les longues plaintes de ces nuits humides, qui hébergent sous leurs ailes les cris lancinants d'animaux rescapés.

Ordre


Par la fenêtre, les arbres décomposés lacèrent le ciel. Leurs branches roides, portées par les pulsions du vent, n'obéissent plus alors qu'aux ordres des tourments à venir.

Accordéon


Tous les matins, ses volets en accordéon lui jouent la complainte du temps qui passe, et elle devient l'accordéoniste d'une valse à plein temps.

Abcès


Il a crevé l'abcès d'une pique admirablement lancée dans les dents de son interlocuteur, qui n'a eu d'autre choix que de se dégonfler.

Point


Écran noir, lisse, plaine d'encre, et au milieu une chouette, comme un point lumineux prisonnier de l'insomnie des nuages

Nécrologie


Le célèbre acrobate Franck Gollaway s'est éteint hier à l'âge de 62 ans en essayant de réaliser une cascade dont il rêvait depuis toujours. Il s'agissait de tenir en équilibre sur les mains au bord du Grand Canyon. Gollaway aurait été surpris par un flash d'appareil photo, avant de faire une chute de plus de 1200 mètres. Il sera inhumé lundi dans son village natal de l'Arkansas. Selon ses dernières volontés, Franck Gollaway sera enterré à la verticale, la tête en bas, avec sa collection d'images autocollantes de catch.

Figé


Dans le silence d'un vacarme naissant, les pieds trempés des larmes du matin, je laisse voyager mes yeux dans la nature encore endormie, qui par moment jette un corbeau dans le néant du ciel multicolore.

Aube


A l'aube des idées noires, elle traine ses sourires tronqués comme des lunes mourantes, et rampe péniblement vers des lendemains ornés de chrysanthèmes.

Biche


Il est des sombres nouvelles qui nous font ressembler à des biches mortes dans la neige.

Vibration


- Mais que vous êtes sale! Mon Dieu, comment peut-on éructer de la sorte?
- Regardez plutôt le ciel, mon amour, quand je rote ça fait vibrer les nuages.

Extrait du film "Mauvaises manières", 2079.

Décharge


Ce qu'il trouvait le plus difficile, c'était d'éviter les limaces collées sur le sentier. Une sorte de marelle originale qui ne lui plaisait pas vraiment. Igor lui avait pourtant assuré que ça valait le coup. Qu'il y avait un peu de marche, mais que ce qu'il avait à lui montrer en valait vraiment la peine. Parfois il plantait ses yeux à l'horizon, dans les arbres faméliques et leurs moineaux de pierre, et aussitôt sa semelle aveugle envoyait une limace aux cieux. Ils ne se disaient rien, l'un attendant de voir ce que l'autre attendait de lui montrer. Ils marchaient de plus en plus vite, comme pour aller à l'essentiel et laisser derrière eux les nombreux kilomètres dont ils venaient de s'encombrer. Ils évoluèrent ainsi deux bonnes heures, la sueur repeignant leurs fronts de gamins, et les herbes hautes marquant leurs jeunes mollets d'aventuriers. Puis, Igor se retourna et lui sourit, l'invitant alors à admirer ce qu'ils étaient venus voir. Il s'avança d'un pas sur la butte, et se laissa engloutir par la déception. Il n'y avait rien d'autre à contempler qu'une décharge à ciel ouvert tout juste bonne à exposer trois rats, une machine à laver, un chien crevé, et à peine autant de mouches que dans la cuisine de sa vieille. Armé de regret, il décida de le tuer.

Demain


Les dentelles de fumée glissent des pots d'échappement, les arbres envoient des feuilles s'accoupler avec le goudron sec, les chiens posent leur poésie sur les trottoirs immaculés, et au milieu de tout ça, je marche avec l'intime conviction que demain tout sera rentré dans l'ordre.