Idéal de grossièreté


Manger avec
les mains
frapper avec
la bouche

Lolita des fossés


Ils se baladent
ensemble
à la tombée de la nuit
Lui se déplace
comme un vieillard
et elle a tout l'air
d'être une gamine
Ils ont des gestes
attentionnés
une démarche
fusionnelle
qui ne trompe pas
la volonté
de prendre soin
l'un de l'autre
Leur écart d'âge
pourrait en choquer
plus d'un
mais il faut croire
que tout ça
fonctionne différemment
chez les hérissons

Trouver la force de fuir


Il reste trois minutes avant de quitter l'appartement. Il reste les fragments d'os du repas d'hier soir. Quelques fils de lumière à démêler, l'ombre des objets à offrir à la poussière. Le canapé est un autel où un livre entamé a été sacrifié au silence.  Il reste une odeur de parfum en fuite, poursuivie par mes narines. Le chat n'est d'aucune aide, inconsistant jusque dans ses rêves, bondissant une fois de plus dans un de ces sommeils qui le retiennent au chaud. Il reste des tas de choses à faire, qu'il faut stocker jusqu'à ce soir. Des tas de gestes et d'accolades visuelles à reporter. La vaisselle dans l'évier attend que quelqu'un lui règle son compte. Il reste enfin à trouver la force de fuir, de tout laisser en plan, à profiter des dernières secondes de flottement pour étrangler la paresse.

Terrain de jeu


Au milieu du champ
un chien se roule
dans la lumière
la terre se mêle
de la partie
Une boule
de poils et d'horizon
s'ébroue
au fond de mes yeux

Trajet de l'ennui


L'absence est
un taxi qui vient
te cueillir
au saut du lit
et te dépose
au creux de la nuit

Effervescent


Pour quelques heures
se dissoudre
dans le silence
Devenir le miroir
du vent

Parfois les sourires ne reviennent pas


C'est comme si
son sourire
était parti en vacances
et n'était jamais
revenu
comme s'il 
avait trouvé
une bouche plus rose
ailleurs
comme s'il 
l'avait plaquée
pour illuminer
d'autres lèvres

S'il le faut


Nous vieillirons avec
l'insolence
des dernières branches
qui survivent
aux brasiers

Mille façons de voyager


Elle tord du cul
il pose ses yeux
elle l'emmène
en voyage

Poupées russes

© photo : Mike He

Dans la rue
mon ombre 
croque dans 
celle d'un chien
déjà affairée
à mastiquer
les dernières lueurs
du jour
Soudain la nuit
les avale
toutes les deux

Poème averse


Plic
ploc
plic
ploc
plic
ploc
plic
ploc
flaque

Il entre sans frapper


Le cauchemar
laisse ses chaussures
à l'entrée de la nuit
arpente l'inconscient
du bout de ses
petits pieds crasseux
puis se fait la malle
au petit matin
en claquant la porte

Grand écart


Chaque jour
elle peste
un peu plus contre
l'écart creusé
par le temps
entre leurs mains

Ninja de trottoir


Minuit
La rue a une odeur
de bouche
qui a trop dormi
Chaque carrefour devient
la fin d'un songe
le début
d'une autre histoire
Engoncé dans
la pénombre
tel un ninja de trottoir
j'observe l'accouplement
des lampadaires
et des silhouettes

Maladresse


En bas de l'immeuble
une tartine de bitume
à la confiture d'oisillon
m'a échappé
des yeux

Boucher les trous


Un de ces 
jours vides 
où les mégots
prennent la place
de tes cheveux
entre mes doigts

Porte ouverte au désert blanc


La plupart des fleurs
meurent
la plupart des oiseaux
se cachent
la plupart des hommes
tremblent
par galanterie
pour l'hiver

Aux passagers des radeaux


Il y a toujours
un trésor enfoui
quelque part
toujours
une horde de pirates
près du but
toujours
un petit groupe
de bras cassés
sur un radeau
à la traîne

Parution - La Page Blanche n°45 - janvier 2012


Quelques poèmes à lire dans le numéro 45
de la revue La Page Blanche.
Pour accéder au sommaire et
télécharger la revue, c'est par ICI.

FPDV - Hors-la-loi


Une façon de lutter contre les trous de mémoire,
ce matin, chez FPDV.

Les bouquinivores - #3

RTT


Une époque
de marteaux piqueurs
dans le ventre
de frigos
en RTT
d'amour en
arrêt maladie
de rêves en
chômage technique
d'espoirs
en séminaires d'entreprise

Nécrologie - Bob Friedmann


Un de moins chez Le Grand Bazart !

Mimétisme animal


Les pattes
de la guêpe
dans la confiture
le poisson prisonnier
de la glace
ma carcasse chaude
engluée dans
le canapé

Les bouquinivores - #2

Scoop !


Le grand froid
et le gros silence
sont en concubinage

Les bouquinivores - #1

Christophe Colomb des cuisines


La buée s'éparpille
sur la fenêtre
étend son territoire
dévoile
de nouvelles contrées
Mes doigts improvisent
la cartographie
d'un monde nouveau
complexe
plein de détours
et de respirations
libres
mes yeux s'apprêtent
à le coloniser

Blotti au fond du puits


Ce matin est
un jeu de l'oie
Je suis prisonnier
d'un puits de lumière
au plafond
Je ne suis pas pressé
que le réveil
me libère
Ce matin est
une partie agréable 
à perdre

Pas besoin de tétine


Bercé par
le froid
bordé par
le vent
le gel
se rendort
sous la nuit

Des mains


Des mains par centaines. Qui disent merci, bonne chance, au revoir, bonjour, comment ça va, qui donnent des coups, qui aident, qui caressent, qui montent et démontent. Des mains par centaines qui rattrapent, qui poussent, qui volent, qui donnent, qui reprennent, qui tapotent dans le dos, qui prient, qui font mal, qui gercent, qui se font des signes entre elles. Des mains qui travaillent, qui encouragent, qui essuient, qui tuent, qui sculptent, qui peignent, qui vivent au fond des poches parmi les miettes de pain, qui écrivent, qui baffent. Des mains qui, pour la plupart d'entre elles, s'y prennent comme des pieds.

Longue conservation


Des rêves 
à ouverture facile
longue conservation
possibilité de
les congeler pour
y repenser
plus tard dans la journée
Cette nuit ne s'est
vraiment pas foutue
de moi

Ratures de paysage

© photo : Jim Brandenburg

Ce matin
aucune différence
entre le ciel
et le sol
Nos silhouettes pressées
doivent se contenter
de tirer un trait
au milieu

Le temps passe par les vitres des trains


Tout va
beaucoup trop vite
si bien qu'il m'arrive
assez régulièrement
de ne pas
voir passer
certaines heures

En haut de l'arbre


Grimper
en haut de l'arbre
regarder en bas
apercevoir
son enfance
écarquiller les yeux
Vieillir c'est
avoir le vertige
et s'en aller cueillir
les fruits
les plus hauts
pour épater le môme
resté en bas

La torture des mots


Rattraper
une idée au vol
la séquestrer
plusieurs jours
s'acharner
la faire avouer
en faire
un poème

Ermite des caboches


Depuis qu'elle est partie
il habite
une petite cabane isolée
au milieu
d'un champ de souvenirs
dans le dernier endroit
chaud et fleuri
de sa tête

Vies lumineuses


Nos trajectoires
de fossés
sous la nuit
Nos espoirs
de vers luisants

I wanna be your Cygne


Elle trouvait intimidant
sa façon de
faire de grand gestes
avec ses pieds
et de fredonner
plus fort que les camions
son air frelaté
de bête sauvage
ses apophtegmes
de dessins-animés
Elle était donc
très intimidée
quand ils étaient nus
et qu'il interprétait
Le Lac des Cygnes
au pied du lit
en chantant
I wanna be your boyfriend

L'envergure d'un sourire


L'ombre de ton sourire
sur mon visage
lorsqu'il déploie ses ailes
pour venir se poser
sur mes rétines

Se vider de son sang


Tellement de coups d'épée 
dans l'eau
aux quatre coins
du monde
qu'il n'y aurait
rien d'étonnant
à ce qu'un beau jour
elle finisse
par devenir
rouge

Haut et court


Je milite pour
la pendaison publique
des sous-vêtements

Grand arbitre pour grand combat


Pieds nus
sur le carrelage
Aux premières loges
derrière la fenêtre
à l'heure où
le crépuscule
sépare
le jour et la nuit
avant qu'ils se foutent
sur la gueule

Cocktail d'aube


Tu es comme
ces animaux sauvages
repus de vide
qui survivent
à l'incertitude
de l'aube
en sirotant sa brume
avec leur coeur

Moins vite que la lumière

© photo : Willy Ronis

Il liquide un litre d'eau sur le pare-brise et monte dans son tacot. La nuit a fait de sa vieille tire recouverte de glace un carrosse pour ouvrier en retard. Il peine à démarrer et doit s'y reprendre à plusieurs fois avant de faire cracher ses tripes à l'engin. Il perd 10 minutes à attendre que le moteur se réveille, s'étire, et se remette d'une toux incurable-pas-la-peine-d'acheter-du-sirop. Il sait qu'il n'arrivera pas à l'heure, et pour le confirmer prend le temps de récolter un à un chaque feu rouge du boulevard. Le soleil a encore fait plus vite que lui. D'ici il voit bien que ses rayons sont déjà à trimer sur le quai. Quand il arrivera, comme chaque matin,  il lui sourira, puis l'invitera à grimper sur ses épaules. Il ne peut plus blairer un seul de ses collègues, fait tout pour les éviter, devient fantôme des allées de palettes, mais le soleil est le dernier gus qu'il accepte encore volontiers de se mettre à dos.

Genèse du printemps


À force d'urine
dans la neige
les chiens font apparaître
quelques bribes
de printemps

Avant-gardistes du trou


Leur anticipation
à s'enfouir
leur discrétion
d'ombre et de silence
leur habileté
à préparer le terrain
leur longueur d'avance
sur notre mort

D'où vient le vent


Comme on essaie
de deviner
d'où vient le vent
en se léchant le doigt
et en le brandissant
je suis à la recherche
d'une réponse tangible
à la solitude
les lèvres
encore humides
de ton départ

Le violeur de mouches


Il écoute le silence
il parle au vide
il est plutôt bien parti
pour se faire apprivoiser
par le néant