Deux chiens


Le temps
n'a rien pu faire
aujourd'hui encore
ils se comprennent
comme peuvent
se comprendre
deux chiens
courant
après le même bâton

En chantier


Au centre
est un cauchemar
et tout autour
les gens
fabriquent des rêves
à la seule force
de leurs petits cœurs
rouillés

Gaspacho, poulet et crudités


Le type est assis
seul devant une assiette de gaspacho
et sa bouche fait
un raz de marée

La serveuse est debout
seule derrière le comptoir
et regarde avec de gros yeux
le liquide
couler de son menton
jusque dans son assiette

Le type continue d'amasser
de grandes pelletées
avec sa cuillère
tout en lisant son journal
et la fille
reste fixée sur
le fil rouge ininterrompu
reliant le menton du type
à son assiette

Au moment où la fille
s'avance vers lui
on entend une mouche
sabrer le silence
puis elle lui file une serviette
sans rien dire d'autre
que quelques mots doux
avec ses yeux

Et ses yeux disent
"ça fait longtemps que
j'ai pas fait l'amour"

mais le type la regarde à peine
et le gaspacho continue de couler

Alors la serveuse repart
derrière le comptoir
avec son envie de faire l'amour
qu'elle enferme aussitôt
dans un sandwich poulet-crudités

Vies de fromages


Il a creusé un trou
de la taille d'un chien
c'était le dixième chien
qu'il s’apprêtait
à ensevelir
au fond de son jardin
Une fois le trou
rebouché
il a simplement passé la main
sur son front
et murmuré
"terre de gruyère"

L'immensité se lave comme les animaux


Je suis à ma fenêtre depuis quelques minutes seulement lorsque dehors se glisse sous la douche. Les nuages moussent et le corps replet du paysage se brosse les flancs. J'épie ce grand animal impudique se frotter le sol à la vue du monde. La rue est une baignoire infinie et les bouches d'égout autant de siphons puissants. Nous devons être nombreux à espionner l'immensité se mettre à nue sous les gouttes chaudes. Quand la douche s'arrête enfin, me prend l'envie soudaine de lui essuyer le dos, mais je ne bronche pas. L'immensité est assez grande. Ce matin nos milliards de rêves synthétiques lui serviront de serviette.

Bonnes affaires


Bonne humeur bradée
pour toute contemplation
abusive du soleil
aujourd'hui le ciel
est en solde
messieurs-dames
profitez-en

Avec l'insouciance d'un insecte


Vivre
avec l'insouciance
d'un insecte
au milieu de l'autoroute
parce que demain est
un pare-brise

La fuite des idées

© photo : Marc Mofflet

Un troupeau d'idées
vient de me traverser la tête
sans que je parvienne
à capturer
une seule
de ces drôles de bestioles

Notre grand banditisme


Nos idées reçues
nos partis pris
nos baisers volés
nos portes dérobées
nos peines données
nos sourires échangés
nos heures tuées
nos petites vies de
grands bandits

La quête des caniveaux


Ils marchent
la pluie
glisse sur eux
ils sont heureux
ils sont braves
souvent la pluie
s'écrase
mais sur eux
elle glisse
et tout le monde
ne peut pas se vanter
d'être un toboggan
que les jours gris
dévalent
avant de conquérir
les caniveaux

Nous entre les deux


Quand plus rien ne l'émeut
il regarde
tout ce qu'il y a en haut
tout ce qu'il y a en bas

S'il faut crever


Il sait que
c'est très peu probable
mais si un jour
les hommes
se réincarnaient en pneu
et les femmes
en clous
c'est sur elle
qu'il aimerait
crever

Nuages obèses

© photo : Luis Márquez

On ne chasse pas
les nuages
à force
de soupirs

Il vous manque de la levure ?


Aujourd'hui, ça se passe dans le numéro 3 de la Levure Littéraire, 
dont le sommaire est par ICI
et mes quelques ingrédients ICI 

Un oiseau parfumé


L'odeur de liberté
au fond de tes cheveux
est un oiseau
parfumé
qui manque
à mon nez

Ne pas flancher


Aujourd'hui
la lumière
me servira
de béquilles
et l'impatience
de pacemaker

Giboulées de cerveau


Rencontré
cette fille
à l'humeur
maussade
qui semblait
avoir besoin
d'un parapluie
au fond de la tête

Le poème qui se prenait pour une chauve-souris


la fin
par
qui commence
un poème
Juste

Marelle du dimanche


Marelle de flaques
elle saute entre
les lacs
manque son coup
et inonde
le petit monde sec
que l'après midi
se construit
sur le trottoir
avec pour seul ciment
la lumière

Fais tourner


Une participation au thème de l'addiction,
à faire tourner chez FPDV.

On ne bouge plus


L'inspiration
n'est qu'histoire de
clignement d’œil
Il suffit de
fermer les yeux
pour les rouvrir
de l'autre côté
dans le noir de nos caboches
C'est un peu comme
braquer une lampe torche
à l'intérieur de nous
pour passer les menottes
aux idées

Deep throat

© photo : Simon Reay

Il a soudain remarqué
qu'une des actrices
de ce film porno
avait une bouche énorme
une véritable caverne labyrinthique
une bouche tellement imposante
qu'il s'est demandé
combien de sexes
avant ses yeux
étaient déjà venus
s'y perdre et y mourir

Pour les mêmes raisons


On aime
exactement
comme on plonge
et leurs bouches
sont des bouteilles
d'oxygène

De sang et de bitume


Il était 14H. Il a enfourché son vélo. Il a pédalé jusqu'à ce qu'il devienne un cheval dans le vent. Le bitume était brûlant. Sur cette longue et raide descente, le goudron n'avait d'autre option que de dégouliner. Une lave noire glissant jusqu'en bas avec sur son dos un vélo lancé à pleine vitesse par un môme de 7 ans. Les arbres ont pris de la vitesse tout autour, sont devenus de minuscules fils verts. Les oiseaux faisaient des pointillés sur les fils électriques et leurs petits cris s'emmêlaient au vacarme des rayons. Il faisait un gros soleil. Un de ces soleils d'été qui ne baissent jamais les bras. D'un hélicoptère on aurait facilement pu croire qu'il n'y avait personne sur le vélo. Pourtant il y avait bien ce môme de 7 ans qui serrait ses mains sur les guidons. Et les guidons tremblaient. Des séismes miniatures pour ses petits doigts de gamin.
Puis il y a eu cette pierre au milieu de la route, qu'il a évitée de justesse. Et il y en a eu une seconde. Une pierre un peu plus grosse. Sans doute assez grosse pour abriter un lézard. La roue avant à cogné et le môme a volé, l'espace d'un instant. Comme les oiseaux migrateurs, sans trop savoir où il allait atterrir. Son corps est tombé plus loin dans le fossé, au chaud parmi les ronces. Le vélo gisait à côté de la pierre. Le vélo était une nouvelle défaite. Il n'avait pourtant rien perdu de ses éclats rouges. Le môme à fait deux petites rivières avec ses yeux. Ses genoux étaient de sang et de bitume, et dès ce soir, il devrait remettre ses petites roulettes.

Il faisait gris et doux


Elle est partie
un matin de grisaille
avec juste
un peu de douceur
sur les contours
du paysage
l'hiver cette année-là
était une sorte d'été
qui aurait mal tourné

La route jusqu'à toi

© photo : Andrew n Dierks

En suivant mon regard
tu pourras découvrir
le tien

Le repas des hommes


Au centre
de notre meute
le nouveau jour
à dévorer

la lumière
sur nos dents
aiguisées

le repas d'hier
tout juste digéré
qu'il nous faut
encercler aujourd'hui
et ronger sa carcasse

Jusqu'à la dernière goutte


Connais-tu
cette vieille histoire
du type qui
tombant dans un lac
et ne sachant pas nager
avait dû pour survivre
boire toute son eau
jusqu'à la dernière goutte ?
Je n'y ai jamais vraiment cru
mais par sécurité
j'ai appris à nager

Au pied !


Nous
petits chiens du ciel
quand il fronce les étoiles
et que le vent nous crie
au pied !

Tout ne va pas si mal


Il arrive aux gens
de croire mordicus
qu'ils vont mal
vraiment très mal
et je pense qu'au fond
ils ne vont pas
si mal que ça
Ils ne vont pas très bien
tout au plus
et je reste persuadé
qu'il n'y a pas de mal
à ne pas aller bien

Résidus


Il y a
dans le souvenir
d'un sourire
les résidus
d'une tristesse
aux poches trouées

Mon triangle des Bermudes


Sur la table de la cuisine, petite armée de miettes, flaques de confiture, beurre lacéré, gras de jambon statufié et pelures bronzées, cadavres de bouteilles, tapis rouge de ketchup le long des assiettes, petites mottes de tabac semées entre les verres, petits champs de lumière, minuscule apocalypse d'un mètre carré au pied de mes yeux. Quand tu n'es pas là, le bordel dans ma tête échoue toujours ici, sur la table de la cuisine.

Dépannage express


Elle était en panne de mec
et les idées pleines de cambouis
le jour où il a débarqué
les yeux
comme des clés à molette

L'heure de manger


Fouille la carcasse
du temps
brise ses os
bois ses minutes
picore ses jours
digère ses années

Eustachian tube


"Bouche à oreille", le mystère est enfin percé,
et à lire chez Vents Contraires.

Les petits mécanismes


Tous ces petits mécanismes
qui font ouvrir nos bouches
tourner nos langues
prendre nos yeux
pour des bouteilles à la mer
tendre nos bras
mélanger nos salives
frotter nos cuirs
et scalper nos idées noires
tous ces petits mécanismes-là
réglés au millimètre
qui finissent par rouiller
bouffer leur notice
et planquer le bidon d'huile

Sculpter l'obscurité

© photo :Ariful H Bhuiyan

La nuit
est une statue
qu'on sculpte
d'un soupir

Tissu de conneries et hot-dogs


Au bas de l'immeuble
deux vieilles
laisses à la main
et chiens aux pieds
parlent chiffons
pendant que
leurs deux yorkshires
se montent dessus
langues bien pendues
Comme si
l'avenir de l'humanité
dépendait
de cette partouze
de tissu
et de poils

...


Le manque d'inspiration
peut ressembler
à ce petit poème

Elle et eux


"Elle et eux", à lire aujourd'hui sur la Revue des ressources.

Première classe


La guichetière
en voit passer
des globe-trotteurs
qui lui arrachent
les billets des mains
et sautent illico
dans leurs trains
mais
la guichetière
préfère de loin
voyager avec
son stylo
dans la tâche de café
sur son bureau

Douche écossaise


C'est un après-midi d'été
la chaleur étrangle
les courants d'air
et les hommes sont
emprisonnés
sous un filet de sueur
Soudain
le baiser que tu poses
sur mon cou
essaie de ressembler
à une douche écossaise

Seule comme une biche apeurée


Sa solitude, offerte aux premières heures de la nuit, est une biche apeurée et quelques chiens voraces. Une douce solitude aux yeux brillants et pattes vacillantes. Plus rien n'existe alors que son corps lisse, qu'un long silence emplit de paille. Ses vies nocturnes sont des postures gelées dont les lendemains se font des friandises à sucer. Et son appartement la croque souvent dans le couloir sombre de l'entrée. Et quand elle ouvre la fenêtre, une gueule large aux dents d'étoiles respire à son oreille. Le tas de vaisselle échoué dans l'évier ne donne pas cher de ses rêves. Ce soir encore, elle plonge ses rétines dans quelques miettes de pain laissées pour mortes sur la table, comme l’œil d'une biche apeurée s'en va se perdre dans le crépuscule.

Le jour est un terreau fertile


6h
le jour s'ouvre
vibre
Bientôt
les 6 milliards d'abeilles
que nous sommes
le butinent
jusqu'à ce qu'il crève
la nuit venue
dans nos petits cœurs
repus

L'été ne vient pas


L'été ne vient pas
elle est assise là
avec son gros pull
et ses yeux coulants
à regarder l'été
qui ne vient pas

Il lui dit
pour la consoler
que c'est plutôt l'hiver
qui a loupé son train
et qui reste ici
à attendre l'été
avec eux
mais elle lui assure que non
que l'hiver n'y est pour rien
dans tout ça
tout est de la faute de
l'été qui ne vient pas
alors il capitule

Parce que les yeux de cette fille
savent qu'ici
on ne badine pas
avec la pluie
quand elle se prend
pour le soleil

La fille-encre-sympathique


Elle faisait partie
de ces gens ordinaires
qui permettent
aux gens extraordinaires
d'exister

Chasser l'aube


Aube
proie
des regards

Home



"Ah, Home
Let me come Home
Home is whenever I’m with you"

Petite pause de quelques jours
on the road
à lundi !

Le minuscule feu d'artifice


C'était un feu d'artifice
qui ne décollait pas
qui pétait juste un peu
en rase-mottes
avant de s'endormir
lamentablement
sur le sol
C'était un feu d'artifice
plutôt horizontal
que vertical
qui avait le vertige
lorsqu'il retombait
dans leurs yeux
et dont assurément
personne n'aurait voulu
Mais ce feu d'artifice-là
à peine plus impressionnant
qu'un feu de camp
il l'avait tiré
spécialement pour elle
et assez minuscule
pour pouvoir l'admirer
tout entier
dans ses yeux

Les yeux dans les poches


Poche de nuit
miettes d'étoiles
fouillement d'yeux

Senteur sapin


Une nouvelle nécrologie à lire sur Le Grand Bazart.