Du sang sur les mains


D'où revenons-nous
et dans quel triste état
pour errer impunément
toute une vie
parmi la haine
avec autant
de preuves d'amour
sous la chair ?

Chercheurs d'or


Cet été
elles nous faisaient chier
Par dizaines
elles rappliquaient
sur le repas
minuscules 
épées de Damoclès
suspendues au dessus
de nos appétits
Mais ce matin
apercevoir une guêpe
rôder autour 
des fantômes de bouffe
c'est être
ce chercheur d'or
que le terrain hostile
de l'hiver
vient de combler

Nourriture de rêve


Ses yeux sont
grands ouverts
Elle est en sursis
avant que la lumière s'éteigne
Elle attend ton histoire
avec l'impatience
d'une poignée d'oisillons
sous un bec plein de vers
Soudain tes souvenirs troués
saupoudrent
quelques bribes de sentiments
à l'orée de ses rêves

Révolte en main


Il arrive
qu'un animal sauvage
élise domicile
dans nos poings fermés

Le truc en plus

© photo : George Marks

Pour résumer simplement
disons que cet instant
est une énorme glace
au chocolat
et ta présence
un supplément chantilly

Métaphysique de relief


Que devient
la pudeur d'une colline
quand la brume
l'abandonne ?

Publication - Jus de bouche - novembre 2011 -Editions Gros Textes


Mon nouveau bouquin vient de paraître aux éditions Gros Textes (sur le web ici et ).

JUS DE BOUCHE
60 pages au format 14 x 10
6 € (+ 1 € de port)
ISBN : 978-2-35082-170-2

"Tous les jours elle colle des enveloppes
Il en faut du courage
pour coller des enveloppes tous les jours
Il en faut de l’énergie pour
après avoir passé la journée entière
à foutre sa salive sur des enveloppes
rentrer chez soi et donner ce qu’il reste
de jus de bouche
à l’homme qu’on aime
des éternités de fois plus
que les enveloppes"


Pour le commander :
- Chèque de 7 euros à l'ordre de Gros Textes : 
Gros Textes
Fontfourane
05380 Châteauroux-les-Alpes

- Ou envoyez-moi directement un mail...

Du haut de ses peines


Elle s'endort
comme elle sauterait
en parachute
d'un cauchemar
pour atterrir
dans un rêve

Cours de rattrapage en géométrie


Mes plans
n'ont jamais été
aussi carrés
que depuis
que je tourne
en rond

Le nuage qui fait déborder le ciel


Tu n'as probablement
pas fait ça
pour me faire du tort
mais permets-moi
de te dire que
tu as quand même
réussi ton coup
Et crois-moi
dans ce ciel
déjà bien encombré
il fallait le faire
pour devenir
le nuage de trop

Parcours d'obstacles


Il faut passer
par ses yeux
contourner ses rêves
ramer dans ses veines et
longer ses entrailles
pour atteindre
son cœur

Nécrologie - Odette Frouyoul


La nécrologie d'Odette Frouyoul, 
la championne de la corde à sauter, 
est à lire ce matin sur Le Grand Bazart

Le jour où c'est arrivé


C'est arrivé
un jour gris
humide et froid
Le ciel avait
un moucheron dans l’œil
depuis une semaine
et personne
n'était encore parvenu
à lui enlever

Poudre d'escampette


Hier j'ai invité l'hiver a entrer un moment. Il frappait à la fenêtre alors j'ai eu pitié. Je lui ai ouvert et il s'est installé partout. Plus une place où m'asseoir. Il me restait à grelotter debout près du radiateur. Quand j'en ai eu assez, je l'ai raccompagné, puis j'ai refermé derrière lui. Alors seulement je me suis rendu compte de la supercherie. J'ai voulu le rattraper, mais l'hiver s'était déjà enfoncé trop loin dans la nuit. Les poches pleines de la chaleur et de l'espoir que j'avais pris soin d'entasser depuis la veille dans l'appartement.

L'important est de trouver un cou


Il y a tellement
de merdes
et de choses puantes
tout autour de nous
que la dernière chance
pour un nez
de s'en sortir
est de trouver refuge
dans un cou parfumé

Pop-corn et lèvres rouges


Cette fille lui plaît
Rien à dire
Plutôt jolie
avenante
tout sourire
un peu de rouge
sur chaque lèvre
un peu de noir
sur chaque cil
un peu d'amour
au fond de chaque œil
Cette fille lui plait
Sûr qu'elle est belle
mais ça ne marchera pas
entre eux
parce que les filles
comme elle
lui font toujours l'effet
d'arriver devant
un excellent film
en se rendant compte
qu'il a oublié
le pop-corn

Une proie facile


Chaque matin
le soleil se lève
s'étire
et s'assoit
sur la colline
Chaque matin
je suis là
derrière la fenêtre
de la cuisine
quand il me fond dessus
de tout son appétit lumineux
Et j'ai bien l'impression
d'être devenu
son petit-déjeuner
favori

Ne pas regarder en bas


Il s'est collé
le flingue sur la tempe
Son regard alterne
entre le ciel et le sol
Ça lui rappelle
le cerisier
qu'il fallait escalader
pour chopper
les derniers fruits récalcitrants
de l'été
Le vertige le prenait
une fois en haut
quand il fallait redescendre
quand il fallait
voir en bas tout petit
avec la tête qui tourne
à hauteur de merles
Il continue à fixer le ciel
avec cette même frayeur
Pourtant il devrait
appuyer sur la gâchette
d'une minute à l'autre
car ce coup-ci
il sait qu'une fois là-haut
il n'aura pas besoin
de redescendre

Les matins qui sentent le brûlé


La sonnerie
du réveil
l’autocombustion
d'un rêve

Le poème rescapé

En entrainement - Ne pas déranger


Déchiffrer la pluie
lire le vent
parler le loup
avoir l'instinct
de la lumière
sur tes cheveux

Mauvais berger


J'ai fait
ce que j'ai pu
mais pas moyen
Ce matin
les nuages
sont encore plus têtus
que des moutons

Notre Tour de Pise


C'est comme si
tu étais sur
mes épaules
et que je chevauchais
une biche
elle-même sur
la défensive

Se sortir de la merde


Au bout du rouleau
trouver
la main tendue

Piquette millésimée


La saveur particulière
de nos vies
Leurs teintes changeantes
Quelque chose entre
une mauvaise bouteille
et une bonne vinaigrette

Le cendrier


Il aimerait juste avoir un chien avec qui se balader. Lui lancer des trucs et les reprendre dans sa gueule humide. Une compagnie avec de l'affection sous les poils et des petites attentions le long de la langue. Calquer ses pas sur ses quatre pattes pour filer droit. Il voudrait simplement qu'on arrête de le faire chier avec sa lenteur d'aimer. Prendre le temps d'apprécier les choses tout en continuant à en piétiner d'autres. Ce serait tellement plus simple s'il pouvait croquer avec ses lèvres et embrasser avec ses dents. Se blottir dans le revers d'une claque ou tout miser sur un baiser. D'abord il se contenterait d'un chien pour traverser avec lui le goudron. Puis il chercherait mieux. Des jambes en or sur un sol d'argent. Pour n'avoir plus cette impression de marcher au fond d'un cendrier dans lequel le ciel aurait pissé.

Marque-page

© photo : Eve Arnold

Nos mines tragiques
se retrouvent
bloquées dans l'hiver
entre deux saisons chaudes
comme les mots doux
froissés d'avoir
été trop lus
s'en vont
se faire écraser
entre deux pages
d'un livre

Accroche-toi


Prends garde
parfois
ce qui te porte
se déporte
et s'emporte

Faits l'un pour l'autre


Ils avancent ensemble
serrés l'un contre l'autre
blottis dans leurs
petits échecs
Lui n'a pas inventé
l'eau chaude
mais par miracle
elle déteste
le thé

Croquer la vie

© photo : Jeanne Blom

Il n'est
jamais trop tard
pour croquer la vie
à pleines dents
mais il reste préférable
d'y aller progressivement
Tenez
ce type par exemple
qui n'en est
qu'à ses balbutiements
commence par faire
comme si
chaque jour
était le dernier jour
de la semaine

Partis trop tôt

© photo : Bill Thomas

C'est triste
tous ces gens
qui ne prennent pas
la peine d'attendre
ce qui les attend

Pense-bête


Penser à tricoter
un ou deux sourires
bien chauds
pour passer l'hiver

Le sens du partage


On va pas
se battre
y a pas assez
de nuages
pour tout le monde
je vais plutôt prendre
le soleil

Cambouis


Il se lève. Ses genoux et ses poignets craquent. Ses yeux cherchent en vain un endroit où se poser deux minutes. Il s'allume une clope, se sert un verre. Ses poumons sont le dernier endroit où l'oxygène voudrait aller. Pourtant l'oxygène prend la peine de faire l'aller-retour entre l'obscurité de l'appartement et le tréfonds de sa poitrine. Là, un cœur s'acharne au milieu du cambouis. Il lui faut ramer pour essayer de maintenir la cadence. Ça fait 50 ans qu'il bosse 24 sur 24, 7 jours sur 7. Ce cœur en a sa claque. De temps en temps il fait semblant de s'arrêter. Il lâche tout et le type en haut lui crie de reprendre à ramer. Un jour le cœur en aura vraiment marre de se faire traiter comme un chien. Pour le moment, il continue de trimer sans broncher, en espérant qu'une fille ou un autre évènement viendra améliorer sa condition. Il lui laisse quelques mois pour rencontrer des yeux, un cul, une paire de nibards, ou n'importe quoi. Et si rien ne se passe, il claquera la porte et laissera l'autre prendre sa place au fond du trou.

Tout est bien qui aurait pu mal finir


Ils ont trouvé son mot
gribouillé sur le frigo
"Suis parti la rejoindre"
ont pris peur
l'ont cherché partout
ont pensé à elle
plus instable qu'un
trépied amputé
se sont rendus en trombe
à son appartement
(traversez le pont
troisième à gauche
passez devant l'épicerie rouge
au prochain feu à droite
roulez 300 mètres
vous êtes arrivés)
sont entrés
sans frapper
et en arrivant dans la chambre
l'ont retrouvé pendu
aux lèvres de cette fille

Seul et mal accompagné


Seul
dans la ville
les mains vides
la tête pleine
le regard rampant
sous le rire moqueur
des étoiles

Bicoques à retaper

© photo : Austin Mann

Le jour se lève
repeint nos visages
nos corps
fait sa pause de midi
sa sieste
puis effectue les
dernières retouches
Alors les bicoques
que nous sommes
tombent dans l'obscurité
et la nuit nous visite

Malbouffe


Elle lui demande
si le monde
se boit ou se mange
Il hésite
Lui même n'y a
jamais vraiment goûté
Il lui répond
que pour lui
mieux vaut
éviter l'un et l'autre
car le monde
si appétant soit-il
reste dur à digérer

Hygiène dentaire


Dans un monde idéal
je pourrais choisir
de n'honorer qu'un seul
de ces deux rendez-vous
Soit celui pour les dents
soit celui pour le taf
Un seul
de ces deux rendez-vous
serait déjà beaucoup
mais supportable
Pourtant je vais
bel et bien devoir
répondre présent
deux fois
Tout ça parce qu'un jour
l'Homme
dans un éclair de génie
a décidé que
pour vivre convenablement
il fallait être pourvu
de dents blanches
et aiguisées

Choix cornéliens


Tes pieds nus
du fond de 
la baignoire
me crient
"rejoins-nous
sous la douche"

et mon oreiller
dans la confidence
me chuchotte
"reste donc 
avec moi"

À consommer sans modération


Quelques mots en forme de tournée générale, 
à propos de La nuit se bat sans nous
sont à lire chez le fameux tenancier belge : Éric Dejaeger

Crever à reculons


Considérant
le long chemin
déjà parcouru
et la fin du voyage
se rapprochant
chaque jour un peu plus
la meilleure solution
pour retarder le dénouement
est d'aller de l'avant
en marche arrière

Scaphandriers du souvenir


Tout ce qu'on remonte
des eaux troubles d'hier
tout ce qu'on lustre
tout ce qu'on montre
tout ce qu'on rejette 
à la flotte

La vengeance de l'écran


Il n'y a plus qu'elle
dans le cinéma
Elle s'est endormie
avant la fin du film
et c'est maintenant
au tour de l'écran
de s'assoupir
en la regardant

Planqués au milieu


Nos petites rondes
nos petites danses
nos cachettes secrètes
sises à égale distance
entre vertige
et claustrophobie

FPDV - Balade exquise dans la poussière


Ça se passe chez FPDV, ICI.

Trou normand


Il en va
de certaines heures
grandioses
diluées dans une vie
comme du trou normand
au milieu d'un repas

Combat de coqs


Après la cohue 
de l'autoroute
il se retrouve au calme
d'un restaurant
avec cette fenêtre à sa gauche
et une serveuse appétissante
faisant les cent pas
entre les tables
Le genre de serveuse
qui plait à tous les hommes
Dehors il commence à neiger
La fenêtre est une télévision
et la serveuse trimballe
son parfum dans l'allée
Il va devoir intervenir
rapidement les séparer
Il n'a jamais aimé
les combats de coqs
Il ne supportera pas
plus longtemps
que le cul de la serveuse
et la neige
se disputent
son regard

Ne pas chavirer


Le soleil s'engouffre
inonde la pièce
Le canapé
semble flotter
Je ne bouge plus
Je tiens bon

Braconnage rétinien


Il lui a dit que ses yeux étaient une espèce en voie de disparition. Elle a claqué des paupières, avec la lenteur d'un animal qui se tapit au creux d'un buisson. Il a rechargé sa bouche pour continuer de l'encenser. Lui a avoué qu'il avait peur qu'une tapée d'autres gars vienne lui tourner autour. Alors le petit animal sous ses paupières a bougé un tout petit peu. Il n'avait jamais vu de regard de cette trempe. Et ses yeux se sont mis à la mitrailler tout ce qu'ils pouvaient, la faisant battre doucement des paupières. Il y a quelques années, elle serait tombée facilement dans le piège. Mais aujourd'hui elle savait bien que les braconniers de sa sorte entassaient dans leurs cœurs autant d'espèces en voie d'extinction qu'ils traversaient de terrains de chasse.